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11 décembre 2013Lettres et allocutions

Allocution du président de la Commission, Jacques Frémont, à l’ouverture du colloque organisé par la CSN à l’occasion du 65e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme

On parle beaucoup de droits fondamentaux au Québec ces jours-ci. Il faut s’en réjouir car on ne parlera jamais assez de nos droits et libertés, de leur importance et de leur impact qui distingue les sociétés ouvertes et dynamiques et dont le régime démocratique est vibrant des sociétés fermées où chacun doit lutter pour ses libertés fondamentales. La mise en œuvre des droits et libertés est une tâche qui n’est facile dans aucune société et représente toujours un défi, au Québec comme ailleurs. Ce matin, je voudrais partager quelques réflexions au sujet de la Charte et de nos valeurs – et non pas de la Charte des valeurs, soyez sans crainte !

Merci Monsieur le président Létourneau pour ces bons mots.
Mesdames et Messieurs, syndiqués de la CSN.

Je vous remercie chaleureusement de m’avoir fait l’honneur de m’inviter à prendre la parole dans le cadre de ce colloque qui souligne les 65 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je suis heureux de m’associer à vous pour marquer cet important anniversaire. On peut avancer sans se tromper que la CSN et ses membres contribuent depuis plus de 90 ans aux avancées sociales qui ont contribué de façon significative à la modernisation du Québec.

On parle beaucoup de droits fondamentaux au Québec ces jours-ci. Il faut s’en réjouir car on ne parlera jamais assez de nos droits et libertés, de leur importance et de leur impact qui distingue les sociétés ouvertes et dynamiques et dont le régime démocratique est vibrant des sociétés fermées où chacun doit lutter pour ses libertés fondamentales. La mise en œuvre des droits et libertés est une tâche qui n’est facile dans aucune société et représente toujours un défi, au Québec comme ailleurs. Ce matin, je voudrais partager quelques réflexions au sujet de la Charte et de nos valeurs – et non pas de la Charte des valeurs, soyez sans crainte !

Comme vous le savez, le Québec s’est doté au milieu des années 1970 d’une Charte des droits et libertés de la personne. Il s’agissait – et il s’agit toujours – d’un instrument juridique fondamental, innovant et remarquable à plusieurs égards. Son chapitre IV, unique au Canada sinon en Amérique du Nord, énonce un certain nombre de droits (dits de la seconde génération) économiques et sociaux. Je me réjouis vivement que la CSN ait décidé d’en faire le sujet de son colloque – car ils constituent indubitablement un des plus importants défis auxquels la société québécoise a à faire face. Qu’il s’agisse du droit de l’enfant à la protection ou la sécurité (39), du droit d’une personne âgée ou d’une personne handicapée à être protégée contre toute forme d’exploitation (48), du droit à l’information (44) ou du droit de toute personne dans le besoin à des mesures d’assistance financière afin de lui assurer un niveau de vie décent (45) ou encore du droit de toute personne qui travaille à des conditions de travail justes et raisonnables (46), ces droits économiques et sociaux reconnus dans la Charte font partie de notre contrat social, des assises sur lesquelles notre société est construite.

Certes, la portée juridique de ces droits diffère de celle, plus affirmée, des autres droits substantifs reconnus par la Charte québécoise. En effet, seuls les articles 1 à 38 de la Charte ont préséance sur toutes les lois du Québec. Ce sont les libertés et droits fondamentaux, les droits politiques et les droits judiciaires. C’est donc dire que les droits économiques et sociaux, notamment le droit à des mesures sociales assurant un niveau de vie décent et le droit à des conditions de travail justes et raisonnables n’ont pas préséance au plan juridique. Convenons que l’absence de prépondérance de ces droits économiques et sociaux sur toute autre législation présente un obstacle de taille à la réalisation d’une égalité réelle, notamment pour les femmes, les groupes racisés, les nouveaux arrivants, les travailleurs migrants, les Autochtones et les sans-abri, bref, pour tous les membres des groupes de la société québécoise les plus durement touchés par la pauvreté et l’exclusion sociale. Lors de la publication de son bilan des 25 années de la Charte des droits et libertés de la personne, la Commission avait recommandé au gouvernement le renforcement des droits économiques et sociaux, que nous avons surnommés « les parents pauvres de la Charte ». Et, la Commission a, depuis, réitéré cette demande à tous les gouvernements qui se sont succédés, tant dans ses avis, ses recommandations ou dans ses commentaires sur le Plan d’action gouvernemental pour la solidarité et l’inclusion sociale.

De plus, certains droits économiques et sociaux ne sont pas formellement reconnus – et donc ne se retrouvent pas – dans la Charte québécoise. C’est ainsi, par exemple, que l’énonciation explicite du droit à un logement suffisant, comme élément du droit à des mesures sociales et financières susceptibles d’assurer un niveau de vie décent, permettrait de mieux tenir compte des facteurs systémiques qui empêchent l’accès au logement en toute égalité, et d’influencer les politiques publiques pour favoriser la pleine réalisation de ce droit.

Il en va de même de la reconnaissance du droit à la santé. Dans le contexte du vieillissement de la population, de l’écart grandissant entre riches et pauvres et des compressions budgétaires dans les services de santé, il ne fait pas de doute que la reconnaissance explicite de ce droit représenterait une avancée importante sur le plan de la protection des libertés et des droits fondamentaux de toutes les personnes qui se trouvent au Québec.

Enfin, la Commission a aussi réclamé et continue de réclamer, la reconnaissance explicite du droit au travail, ce qui permettrait à tous et toutes d’avoir accès à un ensemble de mesures et de programmes favorisant, notamment, le plus haut niveau d’emploi, l’accès à un emploi ainsi que la formation et la réinsertion professionnelles.

Mais, diront certains, pourquoi se préoccuper de droits économiques et sociaux, pourquoi perdre son temps à faire reconnaître des droits qui, au mieux, n’auront que peu ou pas d’effets juridiques ? La réponse est à la fois simple et complexe. Simple car le début de la sagesse au sein d’une société ne consiste-t-il pas à déclarer les éléments fondamentaux de notre contrat social et à expliciter nos ambitions collectives ? Nous avons non seulement le droit, mais aussi le devoir de ce faire, particulièrement à l’égard des générations futures et des membres des groupes racisés. La réponse est aussi complexe, car la reconnaissance des droits économiques et sociaux renvoie auxQuébécois et à la société québécoise ses ambitions et l’image de ce qu’elle doit aspirer à devenir.

Les sociologues Peter Hall et Michèle Lamont de Harvard ont mené depuis plusieurs années avec des équipes d’experts d’un peu partout des recherches visant à répondre à la question : qu’est-ce qui fait qu’une société a du succès ? Le bien-être économique fait certes partie de la réponse : la société qui génère la richesse d’un plus grand nombre de ses citoyens réussit mieux et a davantage de succès. Mais ce n’est qu’une partie de la réponse. Selon Hall et Lamont, ce sont les sociétés qui réussissent à fournir à leurs membres les ressources pour vivre des vies plus pleines, riches et sécuritaires qui rendent leurs citoyens plus heureux. Selon ces sociologues, les caractéristiques sociales et culturelles de ces sociétés sont tout aussi importantes que les caractéristiques économiques. Le social et le culturel sont aussi les moteurs du bien-être collectif et individuel – et ce bien-être se manifeste notamment par une espérance de vie plus longue et généralement, une vie plus heureuse. Les sociétés qui ont du succès sont à même de se bâtir un imaginaire social et culturel qui est le leur et qui leur ressemble. C’est précisément l’exercice auquel le Québec doit s’inviter.

Le monde change, on le sait. Il a considérablement évolué depuis 1948, année de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il a aussi considérablement évolué au Québec depuis 1975, année d’adoption de la Charte québécoise. La montée en puissance de l’État – et du discours – néolibéral et l’évolution démographique et technologique du Québec, pour ne mentionner que ces facteurs, fournissent les éléments d’un nouvel état sociologique des lieux dont nous devons prendre acte. Ces changements modifient la donne et interpellent à plusieurs égards. La lutte pour les emplois de qualité plus rares se fait vive et de nouvelles tensions et de des nouveaux foyers de discrimination apparaissent. Qu’on me permette à cet égard de mentionner les dossiers des travailleurs migrants, du profilage racial ou des difficultés liées au logement. Ces dossiers interpellent certes la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Ils doivent tous nous interpeller. La redéfinition de nos droits économiques et sociaux représente un chantier urgent.

Dans ce contexte, je salue vivement l’initiative de la CSN et de ses membres de s'intéresser au renforcement des droits économiques et sociaux de la Charte québécoise. Il faut souhaiter que cette conversation ouvre enfin la voie à la reconnaissance effective des droits économiques et sociaux, notamment le droit à la santé et le droit à des mesures sociales assurant un niveau de vie décent et le droit à des conditions de travail justes et raisonnables. Le renforcement de ces droits bénéficiera non seulement aux groupes plus vulnérables de la société mais aussi à l’ensemble de la population québécoise. Une telle reconnaissance contribuera en outre à redéfinir notre imaginaire social collectif et, il faut l’espérer, à appuyer le développement d’une société plus correcte à l’égard de tous. C’est à ce prix que nous pourrons dire que le Québec est une société qui a du succès.

Je vous remercie de votre attention.