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25 novembre 2022Lettres et allocutions

Nommer les situations de discrimination et d’atteintes aux droits dans les soins obstétricaux et gynécologiques

Voici le texte de la présentation de Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission, à l'ouverture du colloque Briser le silence sur les violences obstétricales et gynécologiques : documenter les discriminations sexistes et racistes, qui avait lieu en ligne le 25 novembre 2022 dans le cadre de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes.

Bonjour,

Je suis Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Je tiens d’abord à rappeler que la Commission a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics. En vertu de la Charte, la Commission a notamment pour mission d’informer et d’éduquer le public ainsi que d’encourager les recherches sur les droits et libertés. C’est en ce sens que la Commission a souhaité organiser ce colloque portant sur des situations de violations de droits qui sont encore largement ignorées.

Ce colloque vise deux principaux objectifs, soit, premièrement, de contribuer à informer le public sur la problématique des violences obstétricales et gynécologiques et, par extension, sur les droits et libertés des patientes, puis, deuxièmement de faire état des connaissances pratiques et scientifiques sur la question et d’identifier les besoins en matière de recherche. C’est pourquoi le programme d’aujourd’hui rassemble différentes parties prenantes : patiente, organismes communautaires, intervenantes en périnatalité, actrices du réseau de la santé et chercheuses issues de plusieurs disciplines universitaires.

Dans les dernières années, plusieurs témoignages et démarches de recherche ont mis en lumière des situations d’atteintes aux droits et de discrimination dans les soins de santé obstétricaux et gynécologiques. La prise de parole de femmes autochtones affirmant avoir été stérilisées sans leur consentement libre et éclairé a été à cet égard particulièrement troublante. De façon plus générale, dans l’espace public et médiatique, on parle aussi de plus en plus de différentes formes de traitement non respectueux de la dignité humaine.

Cela interpelle évidemment la Commission dans la mesure où la Charte québécoise garantit notamment le droit la sûreté, à l’intégrité et à la liberté de sa personne et le droit à la sauvegarde de sa dignité, et ce, en pleine égalité, sans discrimination sur la base du sexe, de la « race », de l’origine ethnique ou nationale, de l’identité de genre, de la condition sociale ou de tout autre motif proscrit.

La prise de conscience grandissante de l’existence de traitements non respectueux du consentement aux soins et influencés par des stéréotypes sexistes et racistes, notamment, est le fait des principales concernées qui brisent le silence. Il était primordial pour nous de chercher à placer leurs voix et intérêts au centre des discussions aujourd’hui.

Il n’est pas anodin que ce colloque se tienne à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Il est à cet égard important de clarifier d’emblée ce que l’on entend lorsque l’on parle de violences obstétricales ou gynécologiques, que j’appellerai dorénavant VOG pour être plus brève[1].

L’utilisation du concept de VOG est relativement récente et certaines personnes et institutions préfèrent parler de mauvais traitements plutôt que de violences. Or, de l’avis de plusieurs chercheuses, parler de VOG invite à se pencher sur les effets sur les femmes plutôt que sur l’intention et permet de nommer un problème social, de reconnaître un problème de discrimination systémique à l’endroit des femmes et de contrer les injustices à un niveau autre qu’individuel[2], notamment en prenant en compte l’intersection des rapports de pouvoir. La Rapporteuse des Nations Unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, Dubravka Šimonović, a aussi fait part d’une telle compréhension systémique en inscrivant les VOG « dans le prolongement des violations commises plus largement du fait des inégalités structurelles, de la discrimination et du patriarcat, et qui sont aussi la conséquence d’une sensibilisation et d’une formation insuffisantes et du non-respect de l’égalité de statut des femmes et de leurs droits »[3].

La Rapporteuse a d’ailleurs souligné que ces violences et mauvais traitements avaient plusieurs causes qui ne relèvent pas nécessairement de l’intentionnalité des prestataires de soins. Ils résultent notamment de l’environnement de travail caractérisé par le manque d’effectifs et l’insuffisance des ressources, ainsi que des rapports de force entravant le travail des sages-femmes et de l’utilisation abusive de la doctrine de la nécessité médicale[4].

En somme, on peut dégager les éléments de définitions suivants pour saisir les contours de ce que l’on entend par VOG :

  • Un continuum de pratiques (incluant des omissions) dans le cadre de soins obstétricaux et gynécologiques qui surviennent sans le consentement libre et éclairé des patientes et qui mettent à risque l’exercice de leurs droits et libertés de la personne ;
  • Des pratiques produites dans le contexte de rapports de pouvoir asymétrique entre les patientes et les prestataires de soins de santé ;
  • Des pratiques inscrites dans le prolongement des structures de pouvoir patriarcales, des violences à l’endroit des femmes et de l’objectivation du corps des femmes au sein de la société et dans le système de santé en particulier ;
  • Des pratiques qui ne se réduisent pas à la violence entendue comme l’exercice intentionnel d’une force physique sur une personne dans le but de lui causer du tort ;
  • Des pratiques qui peuvent survenir indépendamment de l’intention des prestataires de soins de santé, du fait de normes institutionnelles ou des conditions et de la surcharge de travail.

Notons que cela peut concerner toute personne recevant des soins obstétricaux ou gynécologiques, sans égard à son identité de genre.

Plusieurs travaux ont documenté les effets sur les personnes. Outre les douleurs physiques, il est question de perceptions d’objectivation de leur corps, de peur, de perte de contrôle, de sentiment de mépris et d’humiliation, etc. Au chapitre des effets à plus long terme, on parle de détresse psychologique, de fragilisation de l’estime de soi, de stress post-traumatique, de dépression post-partum et de perte de confiance envers les prestataires de soins et le système de santé[5].

Des recherches ont déjà été produites au Québec, notamment par des participantes au colloque d’aujourd’hui[6]. Des travaux réalisés dans d’autres sociétés ont montré que les femmes autochtones et racisées, particulièrement les femmes noires, ont des résultats de santé inférieurs et rapportent davantage de mauvais traitements subis dans les soins périnataux[7]. Par, exemple, une récente étude menée aux États-Unis par la professeure Vedam et ses collègues a montré que les personnes noires étaient près de deux fois plus nombreuses que celles blanches à rapporter avoir senti de la pression pour accepter des procédures périnatales et que les prestataires de soins de santé étaient davantage à l’écoute des patientes blanches lorsqu’elles refusaient des interventions[8]. De plus en plus de chercheuses noires et d’autres minorités racisées ont d’ailleurs recours au concept de racisme obstétrical pour désigner les croyances et pratiques qui se trouvent à l’intersection de la violence obstétricale et du racisme médical[9].

Si toutes les patientes sont susceptibles de subir des VOG, de plus en plus de données montrent que celles qui se trouvent à l’intersection de plusieurs axes d’oppression sont plus à risque de recevoir des soins qui ne respectent pas leurs droits.

Heureusement, plusieurs projets de recherche en contexte québécois sont en cours et permettront d’avoir une meilleure compréhension des enjeux et d’apporter les correctifs nécessaires pour garantir à toutes l’exercice des droits et libertés en pleine égalité. Aujourd’hui, nous avons justement la chance d’approfondir ces questions avec plusieurs conférencières et panélistes expertes sur ces questions.

Je cède maintenant la parole à Mylène Dorcé qui est notamment consultante en droits des femmes immigrantes et racisées en gynécologie et qui témoignera de son expérience et de ses démarches en tant que patiente. J’en profite pour la remercier d’avoir approché la Commission afin qu’elle se penche sur la question.

Je vous remercie pour votre participation à cette importante discussion et vous souhaite un bon colloque.

 

[1] Voir notamment Sylvie Lévesque et Audrey Ferron-Parayre, « To Use or Not to Use the Term “Obstetric Violence”: Commentary on the Article by Swartz and Lappeman », (2021) 27:8 Violence Against Women 1009 ; Sylvie Lévesque, Manon Bergeron, Lorraine Fontaine et Catherine Rousseau, « La violence obstétricale dans les soins de santé : une analyse conceptuelle », (2018) 31 : 1 Recherches féministes 219, 223-224.

[2] Farah Diaz-Tello, « Invisible wounds: obstetric violence in the United States » (2016) 24:47 Reproductive Health Matters 56; Elizabeth Nalepa, « Naming Obstetric Violence as a Social Problem », (2020) 42:2 Practicing Anthropology 42; Maria T. R. Borges, « A Violent Birth: Reframing Coerced Procedures During Childbirth as Obstetric Violence », (2018) 67:827 Duke Law Journal 827; Cynthia L. Salter, Abisola Olaniyan, Dara D. Mendez et Judy C. Chang, « Naming Silence and Inadequate Obstetric Care as Obstetric Violence is a Necessary Step for Change » (2021) 27:8 Violence Against Women 1019; Sylvie Lévesque et Audrey Ferron-Parayre, « To Use or Not to Use the Term “Obstetric Violence”: Commentary on the Article by Swartz and Lappeman », (2021) 27:8 Violence Against Women 1009

[3] Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, Adoption d’une démarche fondée sur les droits de la personne dans la lutte contre les mauvais traitements et les violences infligés aux femmes dans les services de santé procréative, en particulier les violences commises pendant l’accouchement et les violences obstétricales, Doc. N.U. A/74/137, 2019, par. 9.

[4] Id., par. 39-41, 49. Voir aussi des études sur le rôle de cultures professionnelles et organisationnelles, de pratiques et procédures normalisées ainsi que d’une surcharge de travail : M. T. R. Borges, « A Violent Birth: Reframing Coerced Procedures During Childbirth as Obstetric Violence », (2018) 67:827 Duke Law Journal 827, p. 856; Marit S. G. van der Pijl et al., « Left powerless: A qualitative social media content analysis of the Dutch #breakthesilence campaign on negative and traumatic experiences of labour and birth » (2020) 15(5) PLoS ONE e0233114; Michelle Sadler, Mária JDS Santos, Dolores Ruiz-Berdún, Gonzalo Leiva Rojas, Elena Skoko, Patricia Gillen et Jette A Clausen, « Moving beyond disrespect and abuse: addressing the structural » (2016) 24 :47 Reproductive Health Matters 47, p. 48; Kylea L. Liese, Robbie Davis-Floyd, Karie Stewart et Melissa Cheyney, « Obstetric iatrogenesis in the United States: the spectrum of unintentional harm, disrespect, violence, and abuse » (2021) Anthropology & Medicine ; Rachel Reed, Rachael Sharman et Christian Inglis, « Women’s descriptions of childbirth trauma relating to care provider actions and interactions » (2017) 17 BMC Pregnancy and Childbirth, p. 8.

[5] Manon Bergeron, Sylvie Lévesque, Sarah Beauchemin-Roy et Lorraine Fontaine, « Regard des intervenantes communautaires en périnatalité sur des expériences observées de violence obstétricale » (2019) 38 : 4 Revue canadienne de santé mentale communautaire 63, p. 69; Rachel Reed, Rachael Sharman et Christian Inglis, « Women’s descriptions of childbirth trauma relating to care provider actions and interactions » (2017) 17 BMC Pregnancy and Childbirth, p. 8 ; 10.1080/13648470.2021.1938510 ; Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Violences obstétricales et gynécologiques, Rapport à la Commission sur l’égalité et la non-discrimination, Doc. 14 965, 2019, par. 32-33.

[6] Voir notamment Manon Bergeron et al., préc., note 5 ; Sylvie Lévesque, Manon Bergeron, Lorraine fontaine, Sarah Beauchemin-Roy et Catherine Rousseau, Détresse, souffrance ou violence obstétricale lors de l’accouchement : perspectives des intervenantes communautaires membres du Regroupement Naissance-Renaissance, 2016, Montréal : Département de sexologie et Service aux collectivités, Université du Québec à Montréal; Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Consentement libre et éclairé et stérilisations imposées de femmes des Premières Nations et Inuit au Québec, Rapport de recherche rédigé par Suzy Basile et Patricia Bouchard, Wendake, CSSSPNQL, 2022, 76 pages.

[7] Voir notamment Saraswathi Vedam, Kathrin Stoll, Tanya Khemet Taiwo, Nicholas Rubashkin, Melissa Cheyney, Nan Strauss, Monica McLemore, Micaela Cadena, Elizabeth Nethery, Eleanor Rushton, Laura Schummers, Eugene Declercq et the GVtM-US Steering Council, « The Giving Voice to Mothers study: inequity and mistreatment during pregnancy and childbirth in the United States », (2019) 16 Reproductive Health 10; Monica R. McLemore; Molly R. Altman, Norlissa Cooper, Shanell Williams, Larry Rand et Linda Franck, « Health care experiences of pregnant, birthing and postnatal women of color at risk for preterm birth », (2018) 201 Social Science & Medicine 127; Trina C Salm Ward, Mary Mazul, Emmanuel M Ngui, Farrin D Bridgewater, Amy E Harley, « “You Learn to Go Last”: Perceptions of Prenatal Care Experiences among African-American Women with Limited Incomes » (2013) 17(10) Maternal and Child Health Journal 1753; National Partnership for Women & Families, Listening to Black Mothers in California, 2018.

[8] Rachel G. Logan, Monica R. McLemore, Zoë Julian, Kathrin Stoll, Nisha Malhotra, GVtM Steering Council, Saraswathi Vedam, « Coercion and non-consent during birth and newborn care in the United States » (2022) 49:4 Birth 749.

[9] Dána-Ain Davis, « Obstetric racism: The racial politics of pregnancy, labor, and birthing » (2019) 38:7 Medical Anthropology 560; Colleen Campbell, « Medical Violence, Obstetric Racism, and the Limits of Informed Consent for Black Women » (2021) 26 Michigan Journal of Race and Law 47; Indra Lusero, Anna Reed, et al., Mobilizing the Office for Civil Rights’ Authority to Address Obstetric Violence and Obstetric Racism, Brief, 2022.