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2 juillet 2019Lettres et allocutions

Dévoilement des conclusions de l’enquête systémique – Mauricie Centre-du-Québec

Allocution prononcée par Philippe-André Tessier, président et Suzanne Arpin, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, lors de la conférence de presse du 29 juin 2019 annonçant la sortie de l'enquête systémique sur les services de protection de la jeunesse en Mauricie Centre-du Québec.

Allocution prononcée par Philippe-André Tessier, président et Suzanne Arpin, vice-présidente de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse lors de la conférence de presse du 29 juin 2019. (Le texte prononcé fait foi).

Bonjour,

Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Nous considérons important de venir ici, en Mauricie, pour présenter les conclusions de notre enquête systémique qui porte sur les services dispensés aux enfants en famille d’accueil de la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

Nous allons vous en présenter les principaux constats, tout en sachant que le rapport comprend 64 recommandations, qu’il est disponible en ligne, et que la Commission s’engage à faire le suivi de ces 64 recommandations.

L’enquête en bref

Avant de parler des constats et des recommandations, j’aimerais d’abord vous rappeler que la Commission a le mandat d’assurer la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse et la Charte des droits et libertés de la personne.

Dans le cadre de ce mandat – et à titre de défendeur des droits des enfants - la Commission fait des enquêtes, à la fois sur des dossiers individuels et des enquêtes systémiques, lorsque les éléments relevés ont une portée plus large.

Nous vous présentons aujourd’hui les conclusions d’une enquête systémique. Il s’agit d’une enquête de la propre initiative de la Commission déclenchée à la suite d’une décision judiciaire qui a mis en lumière des lacunes majeures dans les services offerts à un enfant hébergé en famille d’accueil. Nous avions également reçu des demandes d’intervention concernant des questions similaires dans la région couverte par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

Il s’agit d’une enquête d’une grande envergure pour la Commission, puisqu’elle couvre un échantillonnage de 4 ans (début 2013 à fin 2016) . Elle concerne les services reçus par les enfants placés en famille d’accueil sur le territoire de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

Pour les fins de l’enquête, un échantillonnage aléatoire de 88 dossiers d’enfants, dont 15 issus de la communauté Atikamekw d’Opitciwan a été analysé.

La Commission a aussi analysé 60 dossiers de familles d’accueil accréditées et en fonction au cours de la période d’enquête dont 13 d’Opitciwan.

La Commission a obtenu les témoignages de plus de 150 personnes dans le cadre de cette enquête.

Les situations de tous ces enfants sont prises en charge par le DPJ qui reçoit et traite les signalements. Dans le cas des enfants autochtones de la Communauté d’Opitciwan, le suivi de l’enfant et de sa famille et l’application des mesures visant à mettre fin à la situation qui compromet sa sécurité ou son développement sont assumés par le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan. Pour les autres enfants, ce suivi est fait par le CIUSSS.

Au terme de son enquête, la Commission déclare que les droits des enfants hébergés en famille d’accueil de la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2016 ont été lésés.

Les 64 recommandations sont adressées tant au président et directeur général et à la DPJ du CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec qu’à la directrice de la protection sociale et au directeur des services sociaux du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan.

Les recommandations portent sur trois questions :

  1. Les services sociaux dispensés aux enfants
  2. Les conditions d’hébergement
  3. Les mécanismes de décisions en cas de manquements, négligence ou conduite inacceptable d’une famille d’accueil

De façon générale, l’enquête a mis en lumière des lacunes majeures ayant un impact important sur les services offerts aux enfants hébergés en famille d’accueil et dont la situation est prise en charge par le DPJ et, pour les autochtones, le Conseil Atikamekw d’Opitciwan.

Je passe maintenant la parole à ma collègue, Me Suzanne Arpin, qui va vous présenter les principaux constats.

Les principaux constats sur lesquels portent nos recommandations

Les enfants hébergés à majorité sont les grands perdants de l’offre de service : une fois stabilisés, ils sont vus moins régulièrement, ce sont les premiers dossiers où les services diminuent lorsqu’il y a surcharge, les derniers à être réassignés lors du départ d’un intervenant et on ne travaille pas sur leurs traumatismes.

CIUSSS de la Mauricie Centre-du-Québec

Premièrement :

  • L’offre de services du CIUSSS de la Mauricie Centre-du-Québec n’est pas conforme à celle du MSSS, et ce particulièrement pour les enfants placés à majorité.
  • De nombreuses lésions de droit sont en lien avec des problèmes de recrutement et de fidélisation du personnel.

Deuxièmement :

  • Le manque de variété dans le type de ressources d’hébergement des familles d’accueil fait en sorte qu’elles doivent recevoir une clientèle qui n’est pas celle pour laquelle la famille d’accueil est accréditée.
  • L’activité de jumelage/pairage d’un enfant à une famille d’accueil connait des ratés importants.

Troisièmement :

  • Le processus des notes d’écart est à bonifier et celles-ci ne peuvent pas se substituer à un signalement.
  • Le registre des écarts n’est pas accessible aux intervenants à l’application des mesures afin d’identifier les contre-indications possibles à l’hébergement de l’enfant dans la ressource proposée.

Principaux constats pour la Communauté d’Opitciwan

Premièrement, les services aux enfants :

Absence de signalements : 

  • Il y a une directive verbale voulant que les deux premiers évènements ne soient pas signalés même s’ils concernent les alinéas de l’article 38 ou 38.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse.
  • Les intervenants ne signalent que les abus qu’ils considèrent être graves.
  • Les signalements de non-fréquentation scolaire sont systématiquement non retenus.
  • Les intervenants ont une compréhension erronée des motifs de compromission.
  • La définition de la négligence comme prévu à la Loi sur la protection de la jeunesse et au Manuel de référence sur la Loi sur la protection de la jeunesse est interprétée de manière différente par les intervenants du Conseil des Atikamekw d’Opiticiwan, faisant en sorte que plusieurs situations rapportées lors de l’enquête n’ont pas fait l’objet de signalements.

Déplacements fréquents : 

  • Parmi l’échantillon, 62% des enfants hébergés en famille d’accueil au sein de la Communauté d’Opitciwan ont connu au moins trois lieux d’hébergement.
  • Les enfants ne demeurent pas nécessairement dans la famille d’accueil qui leur est désignée, et cela sans que l’intervenant n’en soit informé.

Rupture et absence de services :

  • 67% des dossiers étudiés dans l’échantillonnage pour la communauté d’Opitciwan ont connu des ruptures de services.
  • L’intensité minimale de services recommandée par le MSSS afin de viser à mettre fin à une situation de compromission n’est pas respectée dans 100 % des dossiers examinés.

Délais d’intervention :

  • Dans le tiers des situations, le Conseil de famille qui devait déterminer les mesures applicables est constitué plus de quatre mois après la décision de compromission ou ne l’est pas du tout, plutôt que dans les deux semaines suivant la décision de compromission conformément à l’entente de partage des responsabilités entre le CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec et le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan.
  • 22% des enfants visés par l’échantillonnage hébergés en famille d’accueil le sont sans égard aux durées maximales d’hébergement et sont privés d’un projet de vie.

Deuxièmement, les familles d’accueil :

  • Il y a une rareté des familles d’accueil
  • Le processus d’évaluation des familles d’accueil n’est pas conforme aux normes et standards prévus et n’est pas entièrement complété.
  • Les familles d’accueil ne bénéficient pas d’un suivi approprié.
  • Il n’existe pas de processus lors de plaintes concernant une famille d’accueil ou des conduites inacceptables de celle-ci.

Troisièmement :

Il y a un manque de ressources professionnelles autant auprès des enfants que des parents : très rares visites aux enfants et aux familles d’accueil, pas de ressource en toxicomanie, problématiques liées au logement soulevées dans le passé par la Commission, entre autres.

Des exemples de recommandations

En lien avec ces constats que nous venons de résumer, nous avons fait 64 recommandations. En voici quelques-unes :

La Commission a constaté que pour les enfants hébergés jusqu’à la majorité, les plans d’intervention sont souvent des « copiés/collés » d’année en année. La Commission a donc recommandé au DPJ de prévoir la révision des plans d’intervention aux trois mois et de prendre des moyens concrets pour s’assurer qu’ils comprennent des mesures visant à prévenir la récurrence de traumatismes passés.

Dans le dossier de l’enquête systémique au Saguenay-Lac-Saint-Jean, rendue publique en 2017, la Commission recommandait au MSSS de revoir ses standards de pratique, dont celui du nombre d’évaluation/orientation par année. La Commission rappellera au ministre délégué de la Santé et des Services sociaux que la situation décrite au Saguenay étant présente dans la région de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Il est donc urgent que le Ministère donne suite à la recommandation telle qu’émise pour le Saguenay, soit de mettre à jour ses orientations pour le Programme-Services Jeunes en difficulté, notamment le nombre d’évaluation/orientation attendu par intervenant par année.

Près de 75 intervenants ont témoigné d’exemples d’incohérence entre les politiques établies et la pratique administrative préconisés par le DPJ. La Commission recommande au DPJ d’émettre des notes de service pour s’assurer que les pratiques administratives préconisées par le DPJ soient partagées à l’ensemble de son personnel et d’en transmettre copie à la Commission dans les trois mois de la réception de la présente recommandation.

Concernant la rareté des familles d’accueil et les ratées importantes du jumelage d’un enfant à une famille d’accueil, la Commission prend acte desengagements du DPJ à l’effet notamment de recruter davantage de familles d’accueil à la grandeur du territoire; de diversifier l’offre de service en matière d’hébergement afin de diminuerle nombre de déplacements; et de revoir l’application du processus clinique et l’évaluation des familles d’accueil de proximité, particulièrement au regard de l’octroi de dérogations.

La Commission recommande au DPJ, conjointement avec la directrice de la protection sociale de la Communauté d’Opitciwan de procéder à la révision de la situation de tous les enfants hébergés en famille d’accueil, en commençant par les situations soulevées par l’enquête et dont la Commission a fait part au DPJ et à la DPS et d’informer la Commission de telles révision et directives dans les trois mois de la réception de la présente recommandation.

La Commission recommandera au ministre délégué de la Santé et des Services sociaux de définir, en tenant compte des réalités autochtones, la notion de négligence reconnue dans le Manuel de référence et la transmettre à l’ensemble des DPJ et des directeurs de la protection sociale du Québec.

La Commission recommande au DPJ et à la Direction de la protection sociale de revoir l’outil de classification en vérifiant comment tenir compte des réalités autochtones, de le rendre obligatoire et de s’assurer que cet outil soit utilisé pour les enfants avant même leur hébergement pour évaluer la meilleure ressource susceptible de répondre à leurs besoins, dans les six mois de la réception de la présente recommandation.

La Commission recommande au président directeur général du CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec, en collaboration avec le directeur desservices sociaux du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan, d’élaborer un contrat-type liant le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan et la famille d’accueil et précisant minimalement les services à rendre à tous les enfants (hygiène, alimentation, hébergement, suivi scolaire et soins médicaux notamment), l’obligation de participer aux formations, le nombre et l’âge des enfants qu’elles peuvent recevoir, leur obligation de permettre les visites des intervenants dans leur milieu, le respect intégral de l’entente ou de l’ordonnance et du calendrier de contact.

La Commission recommande au directeur des services sociaux du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan d’élaborer une procédure formelle d’intervention lorsqu’une famille d’accueil fait l’objet de plaintes ou de conduites inacceptables, de nommer une personne responsable de l’application de cette procédure et d’informer les parents, les enfants et les familles d’accueil de cette procédure.

Voilà un résumé de nos conclusions. Je vous rappelle que la Commission fera un suivi de ces 64 recommandations et ne fermera le dossier que lorsque toutes celles-ci auront été suivies à notre satisfaction.

Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

 

Philippe-André Tessier, président
Suzanne Arpin, vice-présidente
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Voir aussi: