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1 mai 2020Lettres et allocutions

Lettre à la ministre de la Santé et des Services sociaux et au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux sur l'application par les DPJ du décret 2020-006 sur les contacts physiques de l'enfant

​​La Commission exprime certaines inquiétudes aux ministres McCann et Carmant quant à l’application par les DPJ d'un décret en vertu de la Loi sur la santé publique qui concerne les contacts physiques des enfants avec les parents avec qui ils ne résident pas.

Lettre à la ministre de la Santé et des Services sociaux et au ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux sur l'application par les DPJ du décret 2020-006 sur les contacts physiques de l'enfant

 

Le 29 avril 2020

Madame Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux
Monsieur Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux
Ministère de la Santé et des Services sociaux
Édifice Catherine-De Longpré
1075, chemin Sainte-Foy, 15e étage
Québec (Québec) G1S 2M1
ministre@msss.gouv.qc.ca
ministre.delegue@msss.gouv.qc.ca

Objet : Décret 2020-006 en vertu de la Loi sur la santé publique

Madame la ministre,
Monsieur le ministre délégué,

Dans le contexte de la pandémie mondiale de la COVID-19, après avoir déclaré l’état d’urgence sanitaire le 13 mars dernier, et dans la foulée des mesures prises pour limiter la propagation de la COVID-19, le gouvernement du Québec a adopté, le 19 mars dernier, le décret 2020-006 en vertu de la Loi sur la santé publique en date du 19 mars 2020.

Ce décret se lit comme suit :

« Sont suspendues les conclusions d’une décision ou d’une ordonnance rendues par la Cour du Québec, ordonnant tout contact en présence physique de l’enfant avec ses parents, ses grands-parents ou toute autre personne, dans la mesure ou le directeur de la protection de la jeunesse considère, suivant les recommandations de santé publique, que ces conclusions ne peuvent être respectées d’une façon qui protège la santé de la population dans le contexte de la pandémie covid-19. Le directeur de la protection de la jeunesse doit, lorsque possible, prévoir d’autres modalités de contact sécuritaire par tout moyen jugé utile, notamment des moyens technologiques. Le directeur de la protection de la jeunesse doit permettre l’exécution des conclusions dès qu’elles peuvent être appliquées sans représenter une menace à la santé de la population. »

Par la présente, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (« Commission »), qui a pour mission de veiller au respect des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte ») ainsi qu'à la protection de l'intérêt de l'enfant et au respect des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse (« LPJ »), souhaite exprimer certaines inquiétudes quant à l’application du décret 2020-006 qu’en font les DPJ.

En effet, le décret prévoit comme règle générale le maintien des ordonnances de contacts physiques de l’enfant notamment avec son ou ses parents avec qui il ne réside pas, et confère un large pouvoir discrétionnaire au DPJ de suspendre ces ordonnances s’il « considère, suivant les recommandations de santé publique, que ces conclusions ne peuvent être respectées d’une façon qui protège la santé de la population dans le contexte de la pandémie Covid-19 ». 

Or, l’application que feraient les DPJ de ce décret aurait pour effet de suspendre automatiquement tous les contacts physiques des enfants pris en charge avec le parent avec qui il ne réside pas, sans qu’une évaluation individualisée de la situation de chacun des enfants concernés soit réalisée au préalable.

La Commission est préoccupée par cette approche « mur à mur » qui est susceptible de contrevenir aux articles 1 et 39 de la Charte et au droit garanti par l’article 3 de la LPJ que chaque décision le concernant soit prise dans son intérêt et dans le respect de ses droits.

Les risques de contamination varient certainement selon la situation particulière de chaque enfant et l’application d’une suspension automatique, non particularisée est préoccupante.

Il est important de souligner à cet égard que les jugements rendus en Cour supérieure en matière familiale à propos de la garde partagée soulignent de façon unanime que la pandémie ne constitue pas en elle-même un motif pour modifier les gardes partagées, dans la mesure ou les parents s’assurent de respecter les mesures de prévention. La Cour a réitéré dans plusieurs jugements l’importance pour les enfants de continuer de voir leurs deux parents.

Consciente que la suspension des contacts physiques est motivée par des raisons de santé publique et intervient dans un contexte de contrôle de la pandémie par la minimisation de la contamination des citoyens, la Commission s’inquiète néanmoins de l’automatisme de cette suspension des contacts et émet un doute quant à la question de savoir si la suspension généralisée est raisonnable et nécessaire et si elle porte le moins possible atteinte aux droits des enfants pris en charge en vertu de la LPJ. La Commission doute que les effets préjudiciables sur chacun des enfants concernés et leur famille soient proportionnels aux effets bénéfiques.

Le gouvernement du Québec, sur son site https://www.justice.gouv.qc.ca/coronavirus/questions-reponses-garde-enfants/, souligne d’ailleurs, en regard des enfants qui ne sont pas pris en charge en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, que les ententes préalables, que ce soit une ordonnance de garde ou de droits d’accès ou une entente convenue entre les parents, par exemple en médiation familiale doivent être respectées autant que possible et en autant que les consignes émises par la santé publique soient respectées. Il indique que les enfants ont des besoins essentiels, dont peut faire partie celui d’avoir accès à leurs deux parents et d’être mis à l’abri des tensions entre ses parents.

La Commission soumet qu’il devrait en être de même pour les enfants en besoin de protection.

La Commission souligne que l’intérêt des enfants, incluant leurs besoins affectifs et moraux, doit demeurer une priorité du gouvernement. Considérant la durée indéterminée de la pandémie et compte tenu que la notion de temps chez l’enfant est différente de celle des adultes, les contacts physiques avec leurs parents ne peuvent être suspendus indéfiniment sans préjudice pour les enfants et leur famille.

Nous demandons au gouvernement d’intervenir sans délai auprès des DPJ pour mettre un terme à la pratique de suspension automatique des ordonnances de contacts physiques avec le ou les parents qui ne résident pas avec l’enfant pris en charge.

Recevez, Madame la ministre, Monsieur le ministre délégué, l’expression de nos salutations distinguées.

 

Philippe-André Tessier, président
Suzanne Arpin, vice-présidente

 

>> Lettre en format PDF