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13 octobre 2020Lettres et allocutions

Lettre au président de la Commission des finances publiques sur la conformité à la Charte du projet de loi n° 60

Pour la Commission, l’expression «membres de minorités visibles et ethniques» proposée dans le projet de loi 60 n’effectue pas une distinction claire entre «minorités visibles» et «minorités ethniques». De fait, il appert que les objectifs de représentation continueraient à être établis en amalgamant les taux de disponibilité des membres des deux groupes et non en fonction du taux de disponibilité , sur le marché de l’emploi, des membres de chacun d’entre eux. Il en est de même des objectifs d’embauche et de promotion en emploi des membres des deux groupes.

Le 13 octobre 2020

Jean-François Simard
Président
Commission des finances publiques
Édifice Pamphile-Le May
1035, rue des Parlementaires, 3e étage
Québec (Québec) G1A 1A3
cfp@assnat.qc.ca


Objet : Conformité à la Charte du projet de loi n° 60, Loi modifiant la Loi sur la fonction publique et d’autres dispositions


Monsieur le président,

La Charte des droits et libertés de la personne confie à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse le mandat de relever les dispositions des lois et des règlements du Québec qui lui seraient contraires et de faire les recommandations appropriées[1]. C’est à ce titre que la Commission commente le présent projet de loi[2].

En vertu de l’article 92 de la Charte, le gouvernement doit exiger de ses ministères et organismes dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique, l’implantation de programmes d’accès à l’égalité en emploi (PAÉE). Ceux-ci doivent par ailleurs faire l’objet d’une consultation auprès de la Commission avant d’être implantés.

La Commission est aussi chargée de l’encadrement des programmes d’accès à l’égalité visés par la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics[3]. Plus de 330 organismes sont aujourd’hui assujettis à cette loi. La Commission a ainsi acquis une grande expertise sur la situation des groupes historiquement victimes de discrimination en emploi, mais aussi sur les conditions de succès de l’élaboration et de l’implantation des programmes d’accès à l’égalité[4].

Elle a également, au fil des années, adressé plusieurs recommandations au gouvernement en lien avec ses PAÉE[5].

Tout d’abord, la Commission a maintes fois recommandé d’uniformiser, dans les lois, décrets ou arrêtés ministériels, les catégories utilisées pour nommer les groupes ciblés dans les PAÉE. Comme elle l’expliquait en 2015 :

Rappelons à cet égard que la Loi sur la fonction publique emploie l’expression « communautés culturelles » qui englobe les minorités racisées et les minorités ethniques, tandis que la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics ainsi que le Programme d’obligation contractuelle utilisent « minorités visibles » pour nommer les minorités racisées. Ce travail d’uniformisation permettra de mieux établir les objectifs spécifiques aux membres des groupes visés, notamment des minorités racisées[6]. [Nos soulignés.]

La Commission a aussi régulièrement recommandé que les programmes de la fonction publique soient modifiés afin que les personnes racisées[7] (dites personnes des minorités visibles[8]) y constituent un groupe cible à part[9]. Comme l’expliquait la Commission en 2019 : 

L’agrégation des minorités racisées, dites visibles, et des minorités ethniques dans un même groupe cible ne permet pas de distinguer la proportion exacte des employés racisés au sein des effectifs de la fonction publique provinciale et d’établir, en conséquence, les objectifs de représentativité, d’embauche et de promotion à atteindre pour ces employés en particulier.[10]

Plus précisément, la Commission recommandait au gouvernement ce qui suit :

[q]ue les minorités visibles constituent un groupe cible distinct et spécifique des programmes d’accès à l’égalité en emploi de la fonction publique[11].
[…]
[q]ue soit identifiée la proportion que représentent les minorités visibles au sein de la fonction publique et que, le cas échéant, des objectifs de représentativité propres à ce groupe soient établis.[12]

D’autre part, les faibles résultats démontrés par les programmes gouvernementaux et l’absence de mécanisme de reddition de compte les concernant ont incité la Commission à recommander, à plusieurs reprises, la modification de l’article 92 de la Charte afin d’assujettir les programmes d’accès à l’égalité de la fonction publique aux mécanismes de reddition et de contrôle de la Commission[13].

La Commission constate que le nouvel article 46 introduit par le projet de loi remplacerait le terme « communautés culturelles », actuellement utilisé[14], par l’expression « membres de minorités visibles et ethniques »[15]. Il semble donc qu’une des recommandations de la Commission en matière de PAÉE ait été suivie en partie. Toutefois, la Commission considère que ce changement de vocabulaire demeurera vide de sens tant qu’une réelle distinction ne sera pas faite entre ces deux groupes. 

Pour la Commission, l’expression proposée dans le projet de loi n’effectue pas une distinction claire entre « minorités visibles » et « minorités ethniques ». De fait, il appert que les objectifs de représentation continueraient à être établis en amalgamant les taux de disponibilité des membres des deux groupes et non en fonction du taux de disponibilité[16], sur le marché de l’emploi, des membres de chacun d’entre eux. Il en est de même des objectifs d’embauche et de promotion en emploi des membres des deux groupes.

Cette appellation qui englobe, sans les distinguer, les deux groupes cibles ne permettrait toujours pas, de surcroit, d’appliquer les correctifs appropriés pour lutter contre la discrimination des personnes racisées et des personnes des minorités ethniques en emploi.

En conséquence, la Commission recommande de modifier l’article 46 qui serait introduit par l’article 12 du projet de loi, afin de respecter l’esprit de la recommandation de la Commission, et qu’il soit clarifié que les « minorités visibles » et les « minorités ethniques » constituent des groupes distincts, dont les objectifs de représentation au sein de la fonction publique québécoise seront établis en tenant compte de leur taux de disponibilité respectif.

Comme nous l’avons déjà souligné, en matière d’accès à l’égalité, l’État devrait être un employeur exemplaire[17]. En conséquence, nous réitérons les recommandations mentionnées ci-dessus.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le président, l’expression de ma considération distinguée.

Philippe-André Tessier
Président


cc. :
Mme Sonia LeBel, ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor
cabinet@sct.gouv.qc.ca

M. Lionel Carmant, ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux
ministre.delegue@msss.gouv.qc.ca

Mme Nadine Girault, ministre des Relations internationales et de la Francophonie, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration
cabinet@midi.gouv.qc.ca

Mme Stéphanie Pinault-Reid, Secrétaire, Commission des finances publiques
cfp@assnat.qc.ca



[1] RLRQ, c. C-12, art. 56 al. 3 et 71 al. 2 (6°) (ci-après « Charte »).

[2] Loi modifiant la Loi sur la fonction publique et d’autres dispositionsprojet de loi n° 60 (présentation – 12 juin 2020), 1re sess., 42e légis. (Qc) (ci-après « projet de loi »).

[3] Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, RLRQ, c. A -2.01.

[4] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, Rapport triennal 2016-2019, 20e anniversaire, 2020, [En ligne]. https://www.cdpdj.qc.ca/Publications/Rapport_triennal_PAE_2016_2019.pdf

[5] Voir notamment : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Les programmes d’accès à l’égalité au Québec. Bilan et perspectives, 1998, p. 140-143; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires sur le Projet de loi 51, Loi modifiant la Loi sur la fonction publique et le Loi sur l'imputabilité des sous-ministres et des dirigeants d'organismes publics, (Cat. 412-88), 1999, p. 11; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire sur le document de consultation « Vers une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination », (Cat. 2.120-1.28), 2006, p. 24 ; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Profilage racial et discrimination systémique des jeunes racisés. Rapport de la consultation sur le profilage racial et ses conséquences, Paul Eid, Johanne Magloire et Me Michèle Turenne, 2011, p. 17; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des relations avec les citoyens de l’Assemblée nationale sur le document intitulé Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion – Cahier de consultation, (Cat. 2.120-7.30) 2015, p. 13-14, [En ligne]. http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/memoire_politique-immigration_rapport.pdf

[6] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2015), préc., note 5, p. 14.

[7] La Commission privilégie le qualificatif « racisées » pour désigner les personnes qui subissent, par un processus de racisation, la discrimination fondée sur les motifs « race », couleur, origine ethnique ou nationale. La Commission a précisé en 2006 la notion de « groupe racisé » : « La notion de groupe racisé fait ressortir le caractère socialement construit de l’idée de “race”, dont on sait maintenant qu’elle ne repose sur aucun fondement scientifique crédible. Le participe passé “racisé” renvoie au fait que les prétendues “races” résultent d’un processus de catégorisation externe opérée par le groupe majoritaire. » Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2006), préc., note 5, p. 1; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, La notion de race dans les sciences et l’imaginaire raciste : la rupture est-elle consommée? Daniel Ducharme et Paul Eid, (Cat. 2.500.123), 2005, p. 7, [En ligne]. https://www.cdpdj.qc.ca/publications/race_science_imaginaire_raciste.pdf

[8] La Commission utilise l’expression « minorités visibles » lorsqu’elle réfère aux données de Statistique Canada ou à celles des programmes d’accès à l’égalité. Les expressions « minorités racisées » et « minorités visibles » réfèrent au même groupe de personnes. Cependant, comme elle l’explique ci-dessus, la Commission privilégie le qualificatif « racisées » pour désigner les personnes qui subissent, par un processus de racisation, la discrimination fondée sur les motifs « race », couleur, origine ethnique ou nationale.

[9] L’expression « minorités ethniques » renvoie quant à elle aux personnes « dont la langue maternelle n’est pas le français ou l’anglais et qui font partie d’un groupe autre que celui des autochtones et celui des personnes qui font partie d’une minorité visible. » : Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, préc., note 3art. 1.

[10] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des relations avec les citoyens de l’Assemblée nationale, Projet de loi n° 9, Loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes, (Cat. 2.412.99.3), 2019, p. 12, [En ligne].http://www.cdpdj.qc.ca/Publications/memoire_PL9_Loi_immigration.pdf

[11]Voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des relations avec les citoyens de l’Assemblée nationale sur le document intitulé Vers une nouvelle politique québécoise en matière d’immigration, de diversité et d’inclusion – Cahier de consultation, (Cat. 2.120-7.30) 2015, p. 14; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire sur le document de consultation « Vers une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination », (Cat. 2.120-1.28), 2006, p. 24.

[12] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 11, p. 14.

[13] Préc., note 5.

[14] Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1, art. 43.

[15] Voir l’article 46 qui serait introduit par l’article 12 du projet de loi.

[16] Le taux de disponibilité correspond à la proportion des membres d’un groupe visé ayant les compétences requises pour occuper chacun des types d’emploi d’un organisme dans la zone appropriée de recrutement ou qui sont aptes à acquérir ces compétences dans un délai raisonnable. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, L’accès à l’égalité en emploi : Fiches thématiques, 12 novembre 2014, p. 13.

[17 Allocution du président de la Commission, prononcée dans le cadre des consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 9, Loi visant à accroître la prospérité socio-économique du Québec et à répondre adéquatement aux besoins du marché du travail par une intégration réussie des personnes immigrantes, Journal des débats de la Commission des relations avec les citoyens, 28 février 2019, Vol. 45 N° 7.