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Politique de protection des renseignements personnels

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19 avril 2022Lettres et allocutions

Lettre sur le Projet de loi n° 19, Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux

La présidence de la Commission exprime ses préoccupations au président de la Commission de la santé et des services sociaux quant à la conformité à la Charte des droits et libertés de la personne du projet de loi n° 19, Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives.

PAR COURRIER ÉLECTRONIQUE

Le 19 avril 2022

Monsieur Luc Provençal
Président
Commission de la santé et des services sociaux
Hôtel du Parlement
1045, rue des Parlementaires
RC, Bureau RC 111
Québec (Québec) G1A 1A4
Luc.Provencal.BENO@assnat.qc.ca

Objet : Projet de loi n° 19, Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives

Monsieur le Président, 

Nous avons pris connaissance du projet de loi n°19, Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives[1] et souhaitons exprimer nos préoccupations quant à sa conformité avec les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne[2]. Des aspects du projet de loi sont la source de certaines interrogations et inquiétudes que nous souhaitons porter à votre attention. Nos appréhensions concernent les exceptions à la confidentialité des renseignements de santé et de services sociaux[3] et à l’obligation d’obtenir le consentement pour y accéder, en particulier celle pour les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux ainsi que celle pour les fins de recherche. Par ailleurs, un certain nombre de sujets, qui ne font pas partie du projet de loi, ont trait aux RSSS et sont susceptibles d’affecter les droits et libertés garantis par la Charte. On pense à l’utilisation des renseignements concernant les personnes autochtones, le traitement automatisé des données et l’utilisation des données génétiques.

La pandémie de COVID-19 a mis en lumière des besoins importants en matière de communication de l’information au sein du réseau et le développement des technologies offre plusieurs réponses techniques. Cependant, tout en reconnaissant la pertinence et la désirabilité de l’utilisation des technologies de l’information afin de permettre aux usagers et professionnels de la santé de faciliter la transmission d’informations cliniques pertinentes[4], la Commission est d’avis que les développements technologiques ne devraient pas entraîner un renoncement à la protection des droits et libertés garantis par la Charte, notamment le droit au respect de sa vie privée ainsi que le droit au respect du secret professionnel[5].

Par ailleurs, nous avons à plusieurs reprises mentionné le caractère hautement sensible des données de santé et les convoitises spécifiques qu’elles peuvent susciter. Un bris de confidentialité de ces renseignements peut porter atteinte au droit à la sauvegarde de sa réputation ou encore favoriser la discrimination basée sur l’état de santé, lequel peut, dans certaines circonstances, être assimilé au motif de discrimination « handicap ».

L’article 5 du projet de loi pose le principe de la confidentialité des RSSS alors que l’article 6 précise les critères qui doivent être respectés pour que le consentement à l’accès à ces données soit valide. Bien que ces critères apparaissent conformes au droit au respect de sa vie privée tel que garanti par la Charte, ils font l’objet d’importantes exceptions dans le projet de loi.

Le consentement à la collecte des RSSS

Si l’article 6 prévoit les critères de validité du consentement à l’accès aux RSSS par des tiers, c’est-à-dire par une personne qui n’est ni l’usager concerné ni l’intervenant du système de santé et de services sociaux qui a recueilli cette information, qu’en est-il du consentement à la collecte même de ces données ? On ne semble pas prévoir la nécessité d’obtenir le consentement pour la cueillette des informations et leur inscription au système national de dépôt des renseignements dont le projet de loi n° 19 prévoit la création à terme. La Commission a déjà indiqué que le retrait de l’obligation d’obtenir le consentement écrit d’une personne en vue de son inscription à un registre national de données de santé représentait une brèche importante au droit au respect de sa vie privée[6]. En l’espèce, le fait de ne pas obtenir le consentement de la personne concernée en vue de créer une base de données accessible à large échelle semble, de la même façon, constituer une brèche importante au droit au respect de sa vie privée.

Par ailleurs, le projet de loi créerait deux nouvelles exceptions importantes aux principes de la confidentialité et du consentement à l’accès aux RSSS, soit l’exception prévue à l’article 26 du projet de loi pour les intervenants du secteur de la santé et des services sociaux et l’exception prévue aux articles 30 et suivants du projet de loi en matière de recherche.

L’exception pour les intervenants du secteur de la santé et des services sociaux

En ce qui concerne les intervenants du secteur de la santé et des services sociaux, s’ils sont des professionnels au sens du Code des professions[7], ils auraient le droit d’avoir accès aux RSSS nécessaires à l’offre de services de santé et de services sociaux qu’ils prodiguent. Un tel droit d’accès pourrait être reconnu aux intervenants qui ne sont pas des professionnels, dans des cas déterminés par règlement.

Le projet de loi prévoit des exceptions à l’accès sans consentement pour les intervenants du système de la santé et des services sociaux quant aux renseignements obtenus en application de la Loi sur la protection de la jeunesse[8] qui ne seraient accessibles qu’à un intervenant agissant dans le cadre de l’application de cette loi (article 27, alinéa 1). En outre, les RSSS obtenus en application de certains chapitres de la Loi sur la santé publique[9] ne seraient accessibles qu’avec l’autorisation d’un directeur de santé publique ou du directeur national de santé publique (article 27, alinéa 2). De plus, le gouvernement aurait le pouvoir réglementaire de limiter l’accès à certains RSSS ou à certaines catégories de RSSS, « notamment parce que le risque de préjudice qu’entraînerait leur divulgation est nettement supérieur aux bénéfices escomptés pour les personnes qu’ils concernent » (art. 28, al. 1).

L’état actuel du droit serait donc modifié par l’introduction d’une exception au principe du consentement à la consultation des RSSS en faveur des intervenants faisant partie du système de santé et de services sociaux. La Loi concernant le partage de certains renseignements de santé[10] aménage une telle exception à la règle du consentement explicite au partage, mais celle-ci se limite aux quatre domaines cliniques actuellement couverts par le dossier de santé.

Or, une personne a le droit de se faire soigner sans divulguer des renseignements qui ne sont pas pertinents pour le traitement requis[11]. Elle a également le droit de choisir les informations qu’elle divulgue. Comme l’indique la Cour suprême du Canada, « l’objectif de fournir à une personne un certain droit de regard sur les renseignements personnels la concernant est intimement lié à son autonomie, à sa dignité et à son droit à la vie privée, des valeurs sociales dont l’importance va de soi »[12]. La Cour reconnaît également que « les renseignements qu’une personne divulgue au sujet d’elle-même au médecin, dans le cadre de sa pratique, continuent fondamentalement de lui appartenir »[13]. Ainsi, comme la Commission l’a indiqué par ailleurs, l’évaluation des atteintes au droit au respect de sa vie privée et au droit au respect du secret professionnel devrait se faire non pas globalement, mais de façon indépendante pour chacune des informations en cause[14].

Le fait de limiter l’accès aux RSSS nécessaires à l’offre de services de santé et de services sociaux apparaît de prime abord raisonnable. Cependant certains RSSS peuvent être pertinents ou non pour un intervenant donné suivant les circonstances précises. La Commission se demande comment sera opérationnalisée la limite sans porter atteinte au droit au respect de sa privée. Comment seront déterminés quels sont les RSSS nécessaires avant de les avoir tous consultés ?

Par ailleurs, puisqu’une grande partie des informations concernées sont couvertes par le droit au respect du secret professionnel et qu’aucune dérogation expresse n’a été aménagée, l’atteinte à ce droit ne serait pas conforme aux dispositions de l’article 9 de la Charte. Même si le projet de loi était amendé pour inclure une telle disposition expresse, les dispositions proposées pourraient tout de même être susceptibles de compromettre la fonction sociale du secret professionnel, que la Commission décrivait ainsi :

« L’asymétrie d’information entre les professionnels et les personnes qui les consultent place ces derniers dans une situation de vulnérabilité : en vue de recevoir les services offerts par un membre d’un des quarante-six ordres professionnels, ils se doivent de dévoiler des informations dont ils ne connaissent pas nécessairement la portée. Par exemple, une information de santé pourrait compromettre la capacité d’exécuter son travail […]. C’est précisément en raison de l’expertise des professionnels que les membres du public les consultent et leur font des confidences. En outre, les informations nécessaires aux professionnels en vue de rendre service revêtent parfois un caractère très privé.
[…]
Le droit au respect du secret professionnel existe pour garantir l’intégrité de l’espace dans lequel la personne qui le consulte expose au professionnel des informations susceptibles de le compromettre, sans crainte qu’elles ne soient divulguées sans son autorisation. »[15]

Cette analyse trouve application dans le contexte de la prestation des services de santé et des services sociaux :

« Malgré leur nature intime, [les renseignements de santé] sont généralement dévoilés sans retenue au professionnel de la santé, le patient étant mû par la conviction que ceux-ci ne seront pas divulgués à qui que ce soit. C’est cette conviction qui assure le maintien d’une relation de confiance entre le professionnel de la santé et son patient, laquelle est indissociable de toute prestation de soins et nécessaire à la formation d’une alliance thérapeutique entre eux. »[16]

Parce qu’il favorise les confidences des usagers, le droit au respect du secret professionnel permet à l’ensemble des professionnels de disposer des informations nécessaires à l’exercice de leur fonction.

Certes, le projet de loi prévoit la faculté pour le gouvernement d’adopter un règlement qui limiterait l’accès à certains RSSS ou catégories de RSSS (article 28 alinéa 1). Cependant, avant sa prépublication ou son adoption, il n’est pas possible de savoir s’il suffira pour susciter la confiance et garantir la fonction sociale du droit au respect du secret professionnel. Comme le soulignait récemment la Commission, « chacune des autorisations légales [à lever le secret professionnel] est susceptible d’éroder la confiance des personnes qui consultent les professionnels et de les inciter à retenir des informations »[17].

Dans un autre registre, le projet de loi n° 19 n’aborde pas la question des professionnels non participants au régime public d’assurance maladie au sens de la Loi sur l’assurance maladie[18]. Or ces professionnels recueillent également des RSSS. Qu’en est-il ? Est-il prévu qu’ils soient soumis aux règles aménagées par le projet de loi ?

L’exception pour l’utilisation des renseignements à des fins de recherche

Le projet de loi n° 19 propose de nouvelles modalités d’accès aux RSSS à des fins de recherche. L’article 30, alinéa 1 prévoit ainsi qu’un chercheur peut obtenir l’accès à ces renseignements sans le consentement de la personne concernée lorsque sa demande d’autorisation est conforme aux critères prévus par le projet de loi. Les articles 31 et 32 précisent les conditions d’accès selon que le chercheur est lié ou non à un organisme du réseau de la santé et des services sociaux.

L’utilisation des RSSS à des fins de recherche pourrait permettre d’améliorer les soins, traitements et services aux patients. Cependant, l’utilisation de telles données obtenues sans le consentement de la personne concernée peut aussi porter atteinte à des droits protégés par la Charte, dont le droit au respect du secret professionnel et, plus particulièrement, le droit au respect de sa vie privée[19]. Cela va notamment à l’encontre du principe de finalité essentiel à la validité d’un consentement éclairé.

Une personne peut valablement renoncer à l’exercice de son droit à la vie privée dans la mesure où la renonciation est « claire, non équivoque, éclairée, libre et volontaire puisqu’elle ne saurait se présumer »[20]. Or, le projet propose plutôt un droit de refus à l’accès qui pourrait être exercé seulement dans certaines circonstances. Les alinéas 2 et 3 de l’article 30 prévoiraient respectivement un droit de refus lorsque l’accès a pour finalité la sollicitation à la participation à une recherche et lorsque la demande est formulée par un chercheur qui n’est pas lié au réseau de la santé et des services sociaux. Aucun droit de refus n’est prévu dans les autres circonstances.

Or, la Commission a indiqué à de nombreuses reprises sa réticence à l’égard d’une formule de consentement présumé ou « opting out »[21]. Elle a affirmé que ce mode de consentement ne satisfait pas au critère du consentement manifeste. Elle a en outre estimé que le fait de devoir exercer un droit de refus à l’endroit de banques de renseignements n’est pas conforme aux notions de consentement spécifique, de variabilité du concept de vie privée et de nécessité inhérentes au droit au respect de sa vie privée et au droit au respect du secret professionnel[22]. La formule du consentement présumé n’apparaît pas conforme aux principes du consentement continu[23] et du droit de retirer son consentement sans avoir à se justifier[24]. Ces principes sont pourtant largement reconnus dans les politiques canadiennes et internationales[25].

Les atteintes aux droits et libertés fondamentaux peuvent aussi, selon les circonstances, être considérées comme conformes aux dispositions de la Charte. Le gouvernement peut en effet invoquer la disposition justificative prévue à l’article 9.1. Rappelons que la Cour suprême a établi que, pour se prévaloir de cette disposition, « le gouvernement doit démontrer que la loi restrictive n’est ni irrationnelle ni arbitraire et que les moyens choisis sont proportionnés au but visé »[26].

La première étape pour déterminer si une atteinte à une liberté ou à un droit garanti par la Charte est justifiée est de vérifier si l’objectif poursuivi par la mesure en cause correspond « à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique »[27]. Il est rare qu’une justification soit rejetée à cette étape de l’analyse[28]. Cependant, la Cour suprême reconnaît que « [l]a simple commodité administrative […] ne peut être suffisamment urgente et réelle pour justifier la suppression d’un droit garanti par la Charte »[29]. Il faudrait donc que le législateur démontre en quoi l’accès sans consentement aux RSSS pour des fins de recherche ne constitue pas une simple commodité administrative, et ce, dans la mesure où existent déjà des possibilités d’accès aux données à des fins de recherche sans le consentement des personnes concernées.

Pour la seconde étape de justification prévue par l’article 9.1, le gouvernement doit faire la démonstration qu’il existe un lien rationnel entre la mesure contestée et l’objectif poursuivi, que la mesure porte le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en cause et que les effets préjudiciables sont proportionnels aux effets bénéfiques[30].

Le projet de loi prévoit plusieurs mesures de protection pertinentes allant dans le sens d’une minimisation des atteintes aux droits. Mentionnons la prise en compte du critère de l’intérêt public de la recherche, aux protections encadrées par une entente écrite, à la limitation de la communication de renseignements permettant une identification directe, à l’évaluation des demandes par un comité d’éthique reconnu ainsi qu’à la production d’une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée. La Commission a à cet égard recommandé que soient menées des évaluations des facteurs relatifs aux droits et libertés de la personne[31], ce qui demeure pertinent dans le présent contexte.

Cependant, nous nous interrogeons tout de même sur le caractère minimal de l’atteinte au droit au respect de sa vie privée. La notion d’atteinte minimale suppose qu’on vérifie « s’il existe un autre moyen moins attentatoire d’atteindre l’objectif de façon réelle et substantielle »[32]. En l’espèce, le projet de loi assouplit le critère d’accès aux RSSS sans le consentement. En effet, le projet de loi poserait entre autres conditions d’accès aux renseignements qu’« il [serait] déraisonnable d’exiger l’obtention du consentement de la personne concernée »[33]. Par comparaison, en vertu de l’Énoncé de politique des trois conseils, un comité d’éthique de la recherche donne son approbation à un projet de recherche dans lequel il n’est pas prévu d’obtenir le consentement des participants s’il est convaincu et obtient la preuve qu’« il est impossible ou pratiquement impossible de mener à bien la recherche et de répondre de manière satisfaisante à la question de recherche si le consentement préalable des participants est requis »[34]. De même, l’Association médicale mondiale estime que le consentement est nécessaire pour accéder à des informations déjà contenues dans les banques à moins « de situations exceptionnelles, où il est impraticable, voire impossible d’obtenir le consentement »[35]. Le législateur devrait donc justifier le recours à un critère moins sévère que celui qui est préconisé par les organismes experts.

D’autres modifications et clarifications apparaissent nécessaires afin d’assurer la conformité de ces dispositions avec les principes de la Charte.

L’article 6, alinéa 5 viendrait modifier les règles de consentement à la participation à la recherche en permettant une forme de consentement élargi. L’alinéa 6 prévoit que le gouvernement pourra déterminer les modalités par lesquelles un tel consentement pourrait être exprimé. Afin d’assurer la validité du consentement, d’autres instances ont déterminé qu’il est nécessaire que les thématiques et catégories soient relativement précises[36]. Des balises seraient alors à prévoir pour assurer la conformité des formulaires de consentement à la participation à la recherche.

Concernant le droit de refus, si l’article 7 et l’article 30, alinéa 3 précisent respectivement que le refus devrait être manifesté de façon expresse et qu’il pourrait être modulé selon les renseignements et les thématiques et catégories de recherche, la possibilité de refuser n’est pas clairement opérationnalisée. Le second alinéa de l’article 7 prévoirait plutôt que les modalités seront déterminées par règlement du gouvernement. Or, il serait impératif que les personnes soient informées de ce droit et des moyens de l’exercer. Cela pose d’ailleurs la question à savoir quand et comment une personne exercerait ce droit si elle n’est pas informée des utilisations potentielles de ses renseignements[37]. Le principe de transparence devrait ainsi être respecté afin que les personnes puissent se prévaloir de façon éclairée de leur droit de refus et protéger leur vie privée[38].

Il pourrait notamment être envisagé qu’une personne puisse exercer son droit de refus en fonction du secteur d’activité dans lequel la recherche est menée. Une personne pourrait ainsi, par exemple, s’opposer à ce qu’une partie ou la totalité de ses renseignements soient accessibles à des chercheurs œuvrant dans le secteur privé[39]. Or, il n’est pas clair à ce stade si cela est compris dans l’expression « catégories d’activités de recherche » de l’article 30, alinéa 3 et dans l’expression « catégories de chercheurs » de l’article 6, alinéa 5. Afin d’assurer une souplesse du droit de refus susceptible de mieux protéger la vie privée, il semble nécessaire que le refus puisse s’exercer en fonction de catégories relativement précises. Cela vaut aussi pour les types de renseignements concernés et les thématiques de recherche.

Certaines questions d’importance pour la mise en œuvre des droits et libertés de la personne et qui relèvent de la protection des RSSS ne sont pas abordées par le projet de loi n° 19. Elles sont présentées ci-dessous.

L’utilisation de renseignements concernant des personnes autochtones

Le projet de loi ne prévoit pas de conditions particulières pour l’accès aux RSSS concernant des personnes autochtones. Or, l’importance de la question de la gouvernance autochtone des données est de plus en plus reconnue au Canada, notamment en ce qui a trait aux RSSS. La Commission royale sur les peuples autochtones et la Commission Viens se sont notamment penchées sur les impacts et enjeux liés à la collecte et à l’utilisation des données concernant les peuples autochtones sans leur participation à l’identification des besoins et au processus de recherche.

Rappelons que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît le droit à l’autodétermination des peuples autochtones ainsi que le droit de participer à la prise de décision sur des questions qui peuvent concerner leurs droits[40]. Sur ce point, une recommandation sur la protection et l’utilisation des données de santé formulée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la vie privée énonce que « [l]es peuples autochtones et les Premières Nations ont droit à la souveraineté des données autochtones et à la gouvernance autochtone en ce qui concerne les données les touchant »[41]. Cela réfère à des droits concernant la collecte, l’accès, l’utilisation, la communication et le contrôle sur les données les concernant.

L’Énoncé de politique des trois conseils prévoit déjà que les chercheurs ont la responsabilité de conclure des ententes ou de consulter les communautés autochtones concernées par la recherche. Les comités d’éthique devraient donc mettre en œuvre les dispositions concernées dans leur évaluation des projets de recherche qui seraient visés par les articles 31 et 32 du projet de loi. Dans ces circonstances, ne serait-il pas important pour le gouvernement d’entamer un dialogue avec les autorités et instances des Premières Nations et des Inuit afin de savoir quels traitements de leurs données elles jugent appropriés ?

Le traitement automatisé des données

Le projet de loi ne prévoit pas non plus d’encadrement particulier pour le recours à des systèmes d’intelligence artificielle à des fins de recherche et d’offre de services de santé et de services sociaux. La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[42] et la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[43] encadrent le traitement automatisé des renseignements personnels, mais leur application serait écartée à l’égard des RSSS[44].

Concernant l’accès à des fins de recherche, ces lois prévoient notamment que les chercheurs doivent, « le cas échéant, décrire les différentes technologies qui seront utilisées pour effectuer le traitement des renseignements », ce qui n’est pas prévu dans le projet de loi n° 19. Cela peut étonner puisque le gouvernement présentait le projet de loi en disant vouloir « baliser l’accès et l’utilisation des données pour les projets de recherche en intelligence artificielle »[45].

Par ailleurs, les avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle médicale sont rapides et nombreuses[46] et nécessitent des mesures de protection adaptées aux risques. Le développement de telles technologies nécessite souvent de confier à des entreprises privées qui les développent la gestion des RSSS qui leur sont nécessaires. En outre, la localisation géographique des serveurs sur lesquels sont stockées ces données est susceptible d’avoir un impact sur le cadre juridique leur étant applicable. De plus, le développement de systèmes d’intelligence artificielle requiert un grand nombre de données, sans que l’on sache à l’avance lesquelles seront utilisées et à quelles fins[47]. Ces technologies sont aussi susceptibles de générer des erreurs et des biais, parfois discriminatoires, sans pouvoir être supervisées par des professionnels du domaine médical en raison de l’opacité caractéristique des systèmes de décisions automatisées. Cette opacité est susceptible de s’étendre à la façon dont les RSSS sont utilisés. De telles particularités commandent un encadrement juridique spécifique en vue de s’assurer que les droits et libertés garantis par la Charte soient respectés.

Notons que les articles 36 et 37 du projet de loi prévoient qu’une demande d’autorisation d’accès présentée par un organisme du secteur de la santé et des services sociaux devrait être accompagnée d’une « évaluation de l’incidence algorithmique permettant d’évaluer les risques de préjudice » lorsque les renseignements concernés serviraient à la mise en place d’un système permettant la décision automatisée. La Commission s’interroge sur les raisons pour lesquelles la possibilité d’appliquer une telle évaluation dans le contexte des accès par des chercheurs et des professionnels de la santé n’a pas été envisagée par le législateur.

L’utilisation des données génétiques

La notion de renseignements génétiques semble comprise dans la définition des RSSS inscrite à l’article 2 du projet de loi. Le projet de loi ne prévoit cependant pas de protections particulières pour ce type de renseignements. À de nombreuses reprises, la Commission a souligné leur caractère particulièrement sensible, notamment en raison de leur capacité prédictive présumée qui peut être la source de discrimination en assurance et en emploi[48]. Les renseignements génétiques comportent également un aspect collectif et sont susceptibles de fournir des informations confidentielles concernant non seulement la personne elle-même, mais également sa famille actuelle et future[49]. La Commission souscrivait d’ailleurs à l’objectif général de la recommandation formulée par la Commission d’accès à l’information dans son 6e rapport quinquennal, soit le fait d’en interdire la collecte, l’utilisation et la communication à des fins autres que médicales, scientifiques et judiciaires[50].

À titre d’exemple, la Loi sur la non-discrimination génétique, adoptée par le gouvernement fédéral en 2017, prohibe le fait d’obliger quelqu’un à subir un test génétique ou à communiquer le résultat de ce test[51]. Cette loi modifie notamment le Code canadien du travail[52] ainsi que la Loi canadienne sur les droits de la personne[53] en accordant une protection aux personnes dans les domaines qui relèvent de la compétence législative fédérale.

Au Québec, aucune protection spécifique équivalente n’est accordée en matière de renseignements génétiques dans les domaines qui relèvent de la compétence législative de la province. Selon les circonstances, les renseignements génétiques peuvent avoir trait au motif de discrimination prohibé « handicap »[54], ce qui procure un certain degré de protection. Il apparaît cependant nécessaire d’ajuster le cadre législatif actuel pour s’assurer que cette protection soit au moins équivalente à celle conférée par la loi fédérale, notamment dans les domaines, de l’assurance, de l’emploi et du droit à l’égalité. Le projet de loi n° 19 apparaît être un véhicule approprié pour, à tout le moins, reconnaître le caractère spécifique des renseignements génétiques.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments distingués.

Le Président,

Philippe-André Tessier


cc. M. Christian Dubé
Ministre de la Santé et des Services sociaux
ministre@msss.gouv.qc.ca

Mme Mériem Lahouiou
Secrétaire de la Commission de la santé et des services sociaux
csss@assnat.qc.ca


[1] Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives, projet de loi n° 19, (présentation— 3 novembre 2021), 2e sess., 42e légis. (Qc) (ci-après « projet de loi n° 19 »).

[2] RLRQ, c. C-12 (ci-après « Charte »).

[3] Ci-après « RSSS ».

[4] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission de la santé et des services sociaux de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi n° 59, Loi concernant le partage de certains renseignements de santé, (Cat. 2.412.67.9), 2012, p. 26 [En ligne].  référant à Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des affaires sociales sur l’avant-projet de loi sur la Carte santé du Québec, (Cat. 2.412.96), 2002, p. 3 [En ligne]. 

[5] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2012), id.  p. 26.

[6] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires sur le projet de loi n° 67, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière de santé, (Cat. 2.412.107), 2008, p. 5, [En ligne].

[7] Code des professions, RLRQ, c. C-26.

[8] Loi sur la protection de la jeunesse, RLRQ, c. P-34.1.

[9] Loi sur la santé publique, RLRQ, c. S-2.2.

[10] Règlement sur les autorisations d’accès et la durée d’utilisation des renseignements contenus dans une banque de renseignements de santé d’un domaine clinique, RLRQ, c. P-9.0001.

[11] Comité de surveillance, Le consentement du patient au partage de ses informations cliniques dans le cadre du projet vitrine PRSA — Carte santé de Laval, Rapport sur la gestion du consentement, 2001, p. 29, cité dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2002), préc., note 4, p. 20.

[12] Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, par. 24.

[13] McInerney c. McDonald, [1992] 2 RCS 138, p. 150.

[14] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2012), préc., note 4, p. 14.

[15] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Commentaires sur le 6e rapport quinquennal de la Commission d’accès à l’information intitulé « Rétablir l’équilibre — Rapport sur l’application de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, (Cat. 2.412.42.7), 2017, p. 5 et 7 [En ligne]. 

[16] Mélanie Champagne, Éric-Alain Laville-Parker, Olivia Toussaint-Martin, « Le dossier du patient en établissement et les renseignements de santé » dans Mélanie Bourassa-Forcier et Anne-Marie Savard, Droits et politiques de santé, 2e éd., Montréal, Lexis-Nexis, 2018, p.159, par. 5-12.

[17] Commission des droits de la personne et des droits de jeunesse, Mémoire à la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec sur le projet de loi n° 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, (Cat. 2.412.14), 2021, p. 65 [En ligne]. 

[18] Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29, art. 1 al. 1 d).

[19] Voir Thomas Plough, « In Defence of informed consent for health record research—why arguments from ʻeasy rescue’, ʻno harm’ and ʻconsent bias’ fail », (2020) 21:75 BMC Medical Ethics[En ligne]. 

[20] Christian Brunelle et Mélanie Samson, « Les limites aux droits et libertés » dans Collection de droit 2021-2022, École du Barreau du Québec, Collection de droit, vol. 8, Droit public et administratif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2021, p. 96-99 [renvois omis.]

[21] Voir notamment Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2012), préc., note 4, p. 11; COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, préc., note 6, p. 5-6; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des affaires sociales sur l’avant-projet de loi sur la Carte santé du Québec, préc., note 4, p. 25-26.

[22] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (2012), id., p. 12.

[23] Conseil de recherches en sciences humaines, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Instituts de recherche en santé du Canada, Énoncé de politique des trois Conseils : Éthique de la recherche avec des êtres humains, décembre 2018, art. 3.3.

[24] Id., art. 3.1.

[25] Timothy Caulfield, Blake Murdoch et Ubaka Ogbodu, « Research, Digital Health Information and Promises of Privacy: Revisiting the Issue of Consent », (2020) 3:1 Revue canadienne de bioéthique 164, p.167.

[26] Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712, par. 63.

[27] R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, p. 139

[28] Voir : Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, par. 26.

[29] Voir entre autres : Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin ; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, par. 110 ; voir également Renvoi sur la Motor Vehicle Act, [1985] 2 RCS 486, par. 85. 

[30] Dagenais c. Société Radio‑Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, 889 ; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877.

[31] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale concernant le projet de loi n° 64, Loi modernisant les dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, (Cat. 2.412.42.8), 2020, p. 91, [En ligne]. .

[32] Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 36, par. 55.

[33] Projet de loi n° 19, art. 31, al. 3 (1°) et art. 32, al. 2.

[34] Voir Conseil de recherches en sciences humaines, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Instituts de recherche en santé du Canada, préc., note 23, p. 40 (art. 3.7 A).

[35] Association médicale mondiale, Déclaration d’Helsinki — Principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains, Adoptée par la 18e Assemblée générale de l’Association médicale mondiale, Finlande, 1964 (Dernier amendement : octobre 2013), art. 32, [En ligne]. 

[36] European Data Protection Board, EDPB Document on response to the request from the European Commission for clarifications on the consistent application of the GDPR, focusing on health research, 2 février 2021, par. 31.

[37] Notons que les sections 27 et 28 des Standards du FRSQ [Fonds de la recherche en santé du Québec] sur l’éthique de la recherche en santé humaine et l’intégrité scientifique prévoient que, dans tous les cas d’utilisation secondaire des données et du matériel biologique, le comité d’éthique exige que les responsables de la recherche transmettent aux personnes concernées des informations et assurances sur leur utilisation aux fins de recherche en santé et la garantie qu’un comité d’éthique verra à la protection de leurs droits et libertés.

[38] Les craintes liées à l’usage secondaire des données peuvent mener des personnes à ne pas communiquer des informations à leur médecin, ce qui peut nuire à une offrir de services de santé adaptée. Voir Israel T Agaku et al., « Concern about security and privacy, and perceived control over collection and use of health information are related to withholding of health information from healthcare providers », (2014). 21:4 J Am Med Inform Assoc. 374. Des travaux montrent que les personnes souhaitent demeurer impliquées dans la gestion de leurs renseignements et être informées lorsque des chercheurs souhaitent les utiliser. Voir Annabelle Cumyn et al., « Informed consent within a learning health system: A scoping review », (2019). 4:2 Learning Health Systems e10206.

[39] La recherche suggère notamment que les personnes sont moins favorables à ce que leurs renseignements soient utilisés sans leur consentement dans le cadre de recherches ayant des finalités commerciales. Annabelle Cumyn et al., « Meta-consent for the secondary use of health data within a learning health system: a qualitative study of the public’s perspective », (2021) 22:81 BMC Medical Ethics, [En ligne]. 

[40] Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 2007, Doc. N.U. A/RES/61/295, art. 3 et 18.

[41] Assemblée générale des Nations Unies, Droit à la vie privée, 2019, Doc. N.U. A/74/277, par. 27.1.

[42] Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, RLRQ, c. P-39.1, art. 12.1 et 90.1.

[43] Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnelsRLRQ, c. A-2.1, art 65.2.

[44] Projet de loi n° 19, art. 123 et 174.

[45] Ministère de la Santé et des Services sociaux, « Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux et modifiant diverses dispositions législatives : La recherche », [En ligne]. 

[46] Blake Murdoch, « Privacy and artificial intelligence: challenges for protecting health information in anew era », (2021) 22:122 BMC Med Ethics [En ligne]. 

[47] Pierre-Luc Déziel, « Est-ce bien nécessaire ? Le principe de limitation de la collecte face aux défis de l’intelligence artificielle et des données massives » dans Service de la Formation continue du Barreau du Québec (dir.), Développements récents en droit de la vie privée (2019), Vol. 465, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2019, 3, p. 22.

[48] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 31, p. 77.

[49] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Mémoire à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale sur le document d’orientation intitulé « Plus de transparence, pour une meilleure gouvernance : Orientations gouvernementales pour un gouvernement plus transparent, dans le respect du droit à la vie privée et la protection des renseignements personnels », (Cat. 2.412.42.6), 2015, p. 16 [renvoi omis], [En ligne]. 

[50] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 15, p. 5.

[51] Loi sur la non-discrimination génétique, L.C. 2017, c. 3, art. 3. Notons que la Cour suprême a confirmé la validité constitutionnelle de cette loi, notamment au titre du partage des compétences législatives : Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17.

[52] Code canadien du travail, LRC 1985, c. L-2.

[53] Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c. H-6.

[54] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, préc., note 15, p. 24.