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30 janvier 2023Lettres et allocutions

Notes pour la consultation sur la bonification des mesures contre le profilage racial

Voici les notes de la présentation de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans le cadre de la consultation gouvernementale pour la bonification des mesures contre le profilage racial, le 19 janvier 2023.

Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les membres du comité,

Je suis Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis accompagné de Mme Myrlande Pierre, vice-présidente de la Commission responsable du mandat Charte, Mme Amina Triki-Yamani, chercheure experte et M. Mathieu Forcier, chercheur.

Je tiens d’abord à rappeler que la Commission a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. La Commission assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse. Elle veille également à l’application de la Loi sur l’égalité en emploi dans des organismes publics.

Conformément à son mandat, la Commission traite annuellement un volume important de plaintes en profilage racial concernant des interventions policières. Elle a aussi produit de nombreux travaux et formulé d’importantes recommandations en vue de lutter contre le profilage racial et d’assurer des normes et pratiques policières respectueuses des droits et libertés. C’est dans cette perspective que la Commission souhaite contribuer à la présente consultation.

Compte tenu du contexte dans lequel cette dernière a été annoncée, il importe de souligner que la Commission a salué à l’automne dernier le jugement de la Cour supérieure invalidant les interpellations aléatoires d’automobilistes. Il s’agit d’une décision historique qui va dans le sens de plusieurs recommandations phares formulées par la Commission en matière de lutte contre le profilage racial. Nous reviendrons plus loin sur la nature de ces recommandations.

Au cours des dernières décennies, la Commission a développé une expertise considérable en la matière et ses travaux ont contribué à la reconnaissance du profilage racial et des autres profilages discriminatoires. En 2005, la Commission formulait la définition du profilage racial qui allait ensuite être reprise par de nombreux acteurs institutionnels et judiciaires, dont la Cour suprême. En plus de préciser les éléments constitutifs du profilage racial, cette définition met en lumière la dimension systémique du phénomène. Cela signifie que l’on ne doit pas s’arrêter aux décisions et actions prises à l’échelle individuelle. Il est nécessaire que l’ensemble des institutions concernées apportent d’importants correctifs aux lois, aux normes ainsi qu’aux pratiques en cause.

C’est pourquoi la Commission a lancé, en 2009, une vaste consultation sur le profilage racial et la discrimination systémique des jeunes racisés. Dans cet important rapport rendu public en 2011, la Commission réclamait une réforme en profondeur des lois, des règlements et des pratiques qui encadrent le travail policier. En 2020, la Commission publiait son bilan de la mise en œuvre des recommandations contenues dans ce rapport. Des dizaines de personnes ayant une expertise sur la question ont été consultées dans le cadre de ces travaux. Elle est ainsi en mesure d’affirmer que le phénomène du profilage racial est bien documenté au Québec et que les solutions ont déjà été identifiées, comme elle a eu l’occasion de l’expliquer au cours des deux dernières années dans le cadre de sa comparution devant le Comité consultatif sur la réalité policière et dans ses commentaires sur le projet de loi n° 18.

Comme tout autre profilage discriminatoire, le profilage racial constitue une atteinte au droit à l’égalité ainsi qu’à plusieurs autres droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne. Nos travaux nous ont permis d’identifier plusieurs effets négatifs du profilage à l’endroit des personnes racisées, notamment des jeunes. Il contribue notamment à l’augmentation des conflits avec la police ainsi qu’à la perte de confiance envers la police et les institutions.

Dans son bilan de la mise en œuvre de ses recommandations, la Commission a mis en lumière l’absence d’uniformité des initiatives prises par les services de police dans le suivi des recommandations qui leur avaient été adressées. Aucun des services de police n’avait suivi l’ensemble des recommandations. On notait en outre que des recommandations appelaient des changements législatifs et réglementaires qui tardent à venir. Devant ce constat, la Commission réitère l’importance que le gouvernement adopte une politique de lutte contre la discrimination et le racisme systémiques qui devrait comprendre un plan d’action en matière de profilage racial. Il y a urgence d’agir en mettant en œuvre des mesures systémiques, ambitieuses, pérennes et concertées, comme la Commission l’a notamment souligné dans le cadre de ses représentations auprès du Groupe d’action contre le racisme.

Des actions phares devraient être mises en œuvre sans attendre. Elles concernent la surveillance ciblée des minorités racisées, la représentation des personnes racisées au sein des services de police, l’évaluation de la mise en œuvre des mesures, l’interdépendance des droits et la participation des personnes concernées.

La surveillance ciblée des minorités racisées et des peuples autochtones par les services de police

Comme l’a souligné la Cour suprême en 2019, « nous sommes maintenant arrivés au point où les travaux de recherche montrent l’existence d’un nombre disproportionné d’interventions policières auprès des collectivités racialisées et à faible revenu ». Au Québec, les travaux d’Armony, Hassaoui et Mulone ont notamment démontré que les personnes autochtones, noires et arabes sont l’objet d’un nombre disproportionné d’interpellations. Ce constat rejoint celui de la Commission qui recommande depuis plusieurs années la révision des politiques et pratiques policières afin de s’assurer qu’elles ne comptent pas de biais discriminatoires. Cette révision devrait particulièrement porter sur : le déploiement des ressources policières selon les quartiers ; la lutte à la criminalité et aux gangs de rue ; l’application des règlements municipaux ; et la lutte aux incivilités.

La Commission recommande aussi la révision des dispositions réglementaires et législatives qui sanctionnent des comportements découlant de l’occupation de l’espace public afin d’éliminer les biais discriminatoires à l’endroit des personnes racisées, des personnes autochtones et des personnes en situation d’itinérance. Elle insiste à nouveau pour appeler à l’interdiction immédiate des interpellations des piétons et passagers de véhicule qui sont effectuées sans fondement. Ces interpellations correspondent à ce que l’on appelle en anglais des « street checks » ou contrôles de routine, c’est-à-dire toute intervention où l’on procède à l’identification d’un individu, puis à l’enregistrement de ses renseignements. La Commission l’a déjà dit, l’encadrement de l’interpellation policière par le ministère de la Sécurité publique, en vigueur depuis 2020, est insuffisant puisqu’il n’interdit que les interpellations qui reposent directement sur un motif discriminatoire et non pas l’ensemble des interpellations de piétons et de passagers de véhicules qui sont sans fondement. La Pratique policière permet encore des interpellations sans prendre en compte la discrimination indirecte qu’elles entraînent. Or, par exemple, le rapport entre les politiques de lutte aux incivilités et la surveillance ciblée des minorités racisées et des populations marginalisées est bien démontré. Il est donc urgent que le gouvernement ou le législateur interdise l’ensemble des interpellations sans fondement et définisse clairement les interpellations interdites.

La représentation des minorités racisées et des peuples autochtones en emploi

En lien avec la sous-représentation des groupes visés par les PAÉE dans les corps policiers, la Commission a mis l’accent sur la nécessité d’une révision du système d’emploi. La Commission estime que la faible présence de ces groupes est due avant tout à une perte de confiance des personnes racisées et autochtones dans l’institution policière, à des pratiques et politiques discriminatoires qui y règnent ainsi qu’à la perpétuation d’une culture organisationnelle qui entretient la discrimination envers les groupes sociaux concernés. Elle a ainsi recommandé de prendre en compte, dans le processus de dotation, les compétences antiracistes, incluant celles associées au respect des droits et libertés prévus à la « Charte », des candidats policiers et des candidates policières et des cadres susceptibles de les embaucher. Tous les niveaux du système d’emploi devraient être revus afin d’identifier et de corriger les biais discriminatoires et cette révision devrait être accompagnée de l’application de mesures appropriées en matière d’accès à l’égalité pour les groupes visés.

La nécessité d’évaluer la mise en œuvre des mesures et d’implanter les mécanismes adéquats de reddition de compte

Il est également impératif que la mise en œuvre des mesures pour lutter contre le profilage racial fasse l’objet d’une évaluation et que des mécanismes adéquats soient implantés afin d’assurer la reddition de compte. La Commission a ainsi recommandé que le législateur fixe des balises relatives à la définition d’indicateurs ainsi qu’à une collecte de données désagrégées selon les motifs de discrimination pertinents. Cette collecte de données devrait respecter l’ensemble des droits et libertés de la personne et avoir pour seul but de déceler les manifestations de discrimination, notamment de discrimination systémique, à toutes les étapes de l’action policière. Elle recommande également que ces balises soient définies en collaboration avec des experts indépendants en la matière et après consultation des représentants des peuples autochtones ainsi que des membres des communautés racisées et autres minorités historiquement victimes de discrimination. Les données recueillies devraient être rendues publiques dans le respect des droits et libertés et faire l’objet d’une reddition de compte publique annuelle. Cette reddition de compte devrait permettre de : présenter l’évolution des indicateurs de mesure du profilage discriminatoire ; faire état des résultats obtenus grâce aux modalités complémentaires de suivi ; et recevoir et tenir compte des commentaires des populations visées ainsi que des experts en la matière.

Le Tribunal des droits de la personne a d’ailleurs confirmé que la collecte de données sur « l’appartenance raciale perçue ou présumée » des personnes faisant l’objet d’une interpellation policière est une mesure nécessaire pour, d’une part, mieux documenter l’ampleur du profilage racial et, d’autre part, mieux conscientiser et outiller les policiers pour combattre le phénomène. Le Tribunal ajoutait que la communication de telles données dans le respect de la vie privée est susceptible d’avoir un impact positif sur la confiance du public envers la police.

Un projet de développement de formations pour contrer le racisme et le profilage racial et social

En ce qui a trait aux actions déployées par la Commission, notons qu’elle a notamment signé un protocole d’entente avec le ministère de la Sécurité publique, le Commissaire à la déontologie policière et l’École nationale de police du Québec concernant un projet de formation destiné aux corps de police du Québec. Cette formation vise à contrer le racisme et le profilage racial et social. Elle permettra aux policières et aux policiers de situer le cadre légal de leurs interventions au regard des droits de la personne et d’améliorer leur compréhension des enjeux auxquels elles et ils font face dans une société diversifiée. La formation leur permettra donc de s’outiller afin d’être en mesure de détecter les situations à risque de constituer une atteinte aux droits de la personne. L’élaboration et le déploiement de la formation s’échelonneront sur une période de quatre ans.

L’interdépendance de tous les droits

L’intervention gouvernementale contre le racisme et la discrimination systémique et le profilage racial de façon plus spécifique doit tenir compte de l’interdépendance des droits protégés par la Charte. Les actions et mesures adoptées doivent ainsi viser la réalisation de l’ensemble des droits, particulièrement les droits économiques et sociaux. Il nous faut reconnaître le croisement entre le profilage racial et les profilages fondés sur la condition sociale et le handicap, profilages qui affectent particulièrement les personnes en situation d’itinérance et les personnes souffrant de problématiques de santé mentale.

La lutte contre le profilage racial est donc indissociable de la lutte à la pauvreté et du financement adéquat des services de santé, sociaux et communautaires de proximité en vue d’abandonner les approches fondées sur la gestion pénale des problèmes sociaux. La Commission insiste aussi sur l’importance de développer des solutions préventives à la surjudiciarisation des personnes visées, notamment par la mise en œuvre de partenariats avec le réseau de la santé et des services sociaux et le milieu communautaire afin de constituer des alternatives au recours inapproprié à la force, notamment en privilégiant la communication et la désescalade des conflits.

Pour la Commission, il est urgent de mettre en œuvre l’ensemble de ces actions, mais il est aussi essentiel que soient prévus des mécanismes à même d’assurer la participation effective des personnes des minorités racisées, et ce, à toutes les étapes, de l’élaboration des mesures à leurs évaluations.

Conclusion : une question de droits

Nous voudrions conclure en rappelant que l’activité policière ainsi que l’action gouvernementale en matière de lutte contre le profilage racial doivent être guidées par le respect et la mise en œuvre des droits et libertés garantis par Charte. Le travail policier doit en effet être évalué à lumière des principes fondamentaux de notre société qui y sont inscrits. L’ampleur du phénomène et des atteintes aux droits qui en découlent est bien documentée. L’heure est à la mise en œuvre des solutions déjà proposées.

Plus nous tardons à mettre en œuvre les actions nécessaires pour lutter contre le profilage racial, plus la confiance des personnes des minorités racisées et des peuples autochtones envers les services de police et les institutions risque d’en être affectée. Or, la persistance d’un tel climat de méfiance ou de peur nuit à l’exercice des droits des personnes visées en contribuant notamment aux phénomènes de non-report d’infractions ou d’actes criminels, de non-recours à l’aide des services de polices et de sous-protection de ces populations.

Nous vous remercions de votre attention et demeurons disponibles pour répondre à vos questions.