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27 août 2021Lettres et allocutions

Présentation de la Commission aux Consultations particulières et auditions publiques sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19

Voici les notes d'allocution de Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse aux Consultations particulières et auditions publiques sur la vaccination obligatoire contre la COVID-19, le 27 août 2021.

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Je suis Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis accompagné de Me Geneviève St-Laurent, conseillère juridique à la Direction de la recherche de la Commission.

Je tiens d’abord à rappeler que la Commission a entre autres pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Nous avons accepté l’invitation à participer aux audiences publiques afin de rappeler les grands principes de la Charte qui devraient être respectés dans l’éventualité où le gouvernement imposerait la vaccination obligatoire à certaines catégories de travailleuses et travailleurs dans le domaine de la santé. Compte tenu du caractère inédit et exceptionnel de la mesure envisagée et des interrogations qui persistent quant aux paramètres de son application, vous comprendrez que nous ne serons pas en mesure de répondre à toutes vos questions ou de formuler des réponses définitives. Notre objectif aujourd’hui est de souligner l’importance d’évaluer les impacts de l’imposition de la vaccination obligatoire à certaines catégories de personnes qui travaillent dans le milieu de la santé sur les droits et libertés garantis par la Charte, de faire part des limites que l’on perçoit et de rappeler la démarche à suivre par le gouvernement lorsqu’il vient limiter des droits et libertés.

À la suite d’une recommandation de la Santé publique, le gouvernement envisage d’imposer la vaccination à tous les membres du personnel de la santé et des services sociaux qui sont en contact rapproché avec les usagers. La liste exhaustive des corps de métiers touchés n’a pas été révélée jusqu’à maintenant. Il étudie également la possibilité d’étendre cette imposition à d’autres employés de l’État, notamment le personnel enseignant et les éducatrices en milieu de garde. Outre le critère du contact prolongé avec des personnes vulnérables, il n’a pas été précisé à ce stade quelles autres catégories d’emploi pourraient être concernées. Il faudrait aussi que le gouvernement clarifie la nature des sanctions envisagées.

En contexte d’état d’urgence sanitaire, l’article 123 de la Loi sur la santé publique autorise le gouvernement ou le ministre habilité à ordonner la vaccination obligatoire de la population ou d’une partie de celle-ci lorsqu’une maladie contagieuse menace gravement la santé de la population. Cet ordre doit cependant être conforme avec les dispositions de la Charte.

S’appuyant sur des avis scientifiques à l’échelle locale, nationale et internationale, la Commission est d’avis que la vaccination est actuellement le meilleur moyen de protection contre la COVID-19 et ses complications. Toutefois, la décision de rendre celle-ci obligatoire comporte des risques d’atteintes aux droits et libertés.

D’abord, la vaccination constitue une atteinte au droit à l’intégrité de la personne. Il s’agit d’un acte médical qui ne peut pas, sauf exception, être prodigué sans qu’une personne renonce à ce droit par un consentement libre et éclairé. En ce sens, la transparence est une valeur essentielle pour toute mesure de vaccination, obligatoire ou non, ainsi que pour toute autre mesure de santé publique. Elle renvoie à la qualité et à la diffusion de l’information et le rôle du gouvernement est crucial à cet égard.

Le droit au respect de sa vie privée est aussi susceptible d’être atteint. Il existe par exemple un risque que des questions intrusives soient posées par l’employeur quant aux raisons expliquant que l’employé ne puisse présenter une preuve vaccinale, ce qui pourrait obliger la personne à révéler des informations personnelles sur son état de santé. Cette mesure porterait également atteinte à la sphère d’autonomie personnelle et la capacité de prendre des décisions fondamentales qui nous concernent, qui est aussi protégée par le droit au respect de sa vie privée. L’imposition de la vaccination obligatoire est aussi susceptible d’avoir un impact sur l’exercice du droit à la liberté de sa personne et au droit à la sauvegarde de la dignité de sa personne. La jurisprudence reconnaît que le travail est un des éléments les plus fondamentaux dans la vie d’une personne.

En contrepartie, la vaccination obligatoire peut avoir des effets positifs. Compte tenu de l’efficacité actuellement démontrée des vaccins dans la lutte contre la COVID-19, l’imposition de la vaccination à certaines catégories de personnes qui travaillent est susceptible de favoriser l’exercice de plusieurs droits et libertés protégés par la Charte. Pensons au droit à la vie, à la sûreté et à l’intégrité, à la liberté des personnes qui reçoivent des soins ou au droit à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique pour travailleuses et travailleurs de la santé vaccinés. On peut aussi penser que cela peut avoir des effets positifs en lien avec le droit à l’égalité, notamment pour les personnes qui sont davantage vulnérables en raison de conditions médicales et qui sont donc visées par le motif de discrimination handicap qui est prohibé par la Charte. Le Québec est aussi lié par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui prévoit que les États doivent prendre des mesures pour prévenir la propagation et le traitement des maladies épidémiques afin d’assurer l’exercice du droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé qu’elle soit capable d’atteindre.

Selon les circonstances, les atteintes aux droits et libertés visés aux articles 1 à 9 pourraient être considérées comme justifiées au sens de l’article 9.1 de la Charte. Rappelons que cette disposition prévoit que les droits et libertés fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec et que la loi peut en fixer la portée et en aménager l’exercice. La notion d’ordre public inclut la protection des droits et libertés d’autrui, ce que reconnaît explicitement le préambule de la Charte qui affirme que les droits et libertés de la personne sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général.

Comme l’a établi la Cour suprême, « pour se prévaloir de l’article 9.1, le gouvernement doit démontrer que la loi restrictive n’est ni irrationnelle ni arbitraire et que les moyens choisis sont proportionnés au but visé ».

La démarche à suivre pour déterminer la conformité à la Charte des atteintes aux droits et libertés est bien définie par les tribunaux. La première étape est de vérifier si l’objectif poursuivi par le gouvernement correspond à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. Le gouvernement a à ce chapitre fait référence à la protection des patients vulnérables, au risque d’une quatrième vague due au variant Delta, au fait d’ériger le personnel de la santé en modèle pour les personnes non vaccinées, mais aussi à la protection de l’intégrité du système de santé relativement à l’absentéisme causé par une couverture vaccinale incomplète et au fardeau imposé aux personnes vaccinées.

La seconde étape consiste en l’application d’un test de proportionnalité. Le gouvernement devrait alors démontrer qu’il existe un lien rationnel entre la mesure proposée et les objectifs poursuivis, que l’atteinte au droit ou à la liberté en cause est minimale et que les effets bénéfiques de cette mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables.

Le critère de l’atteinte minimale implique que le gouvernement choisisse le moyen le moins attentatoire pour atteindre son objectif. C’est ici qu’interviennent les réflexions sur les autres moyens moins intrusifs pouvant être envisagés, par exemple le port de matériel de protection adéquat ou le maintien de l’option des trois tests par semaine.

L’étape de proportionnalité globale permet quant à elle de mettre en balance les avantages de la mesure avec les limites aux droits ou libertés.

La démonstration qu’une atteinte à une liberté ou un droit fondamental est justifiée en vertu de l’article 9.1 de la Charte appartient au gouvernement et elle doit être faite au cas par cas, notamment à la lumière des données scientifiques disponibles et sur la base des données probantes recueillies. Au-delà d’une restriction des droits à justifier, il est ici question d’un exercice de conciliation entre des droits qui entrent en conflit dans une situation donnée.

Enfin, l’imposition de la vaccination obligatoire pourrait porter atteinte au droit à l’égalité si elle ne prend pas en compte le fait que le vaccin pourrait être contre-indiqué pour certaines personnes en raison de leur condition médicale. L’imposition pourrait alors entraîner des conséquences discriminatoires sur la base du motif handicap. Afin d’éviter de compromettre le droit à l’égalité, il faudrait alors prévoir que toute personne qui ne peut se faire vacciner pour des raisons médicales ou pour tout autre motif valable en vertu de la Charte pourrait présenter une demande d’accommodement à cette fin.

La Commission est d’avis que l’imposition vaccinale par le gouvernement à certaines catégories d’employés du réseau de la santé peut être conforme à la Charte, en s’assurant que la limitation des droits et libertés respecte la démarche de justification établie par les tribunaux.

Il faut ici souligner que les circonstances de chaque cas seront déterminantes dans les conclusions des tribunaux appelés à appliquer l’article 9.1 de la Charte. Si le gouvernement choisissait d’étendre la vaccination obligatoire à d’autres secteurs que celui de la santé, les objectifs de la mesure seraient forcément différents et l’analyse de la justification de l’atteinte devrait donc prendre en compte des circonstances et des données scientifiques propres au contexte particulier.

Nous vous remercions de votre attention.


Notes préparées à la Direction de la recherche par :

Mathieu Forcier, chercheur
Me Karina Montminy, conseillère juridique
Me Geneviève St-Laurent, conseillère juridique


Voir l'allocution en version PDF