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19 janvier 2022Lettres et allocutions

Notes pour la présentation de la Commission sur le projet de loi no 9, Loi sur le protecteur national de l’élève

Photo avec filtre rosé d'un élève en classe par Taylor Wilcox prise sur Unsplash.
Voici les notes de la présentation de la Commission devant la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec le 19 janvier 2022, à l’occasion des consultations particulières sur le projet de loi no 9, Loi sur le protecteur national de l’élève.

Madame la Présidente,

Monsieur le Ministre,

Mesdames et Messieurs les députés,

Je suis Philippe-André Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Je suis accompagné de Daniel Ducharme, chercheur expert et de Me Karina Montminy, conseillère juridique à la Direction de la recherche de la Commission.

Je tiens d’abord à rappeler que la Commission a pour mission d’assurer le respect et la promotion des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne. Elle assure aussi la protection de l’intérêt de l’enfant, ainsi que le respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la protection de la jeunesse.

Depuis sa création en 1976, la Commission est active dans le milieu scolaire pour assurer tant la promotion que la défense des droits qui sont garantis par la Charte aux élèves du Québec. Ainsi, à travers l’exercice de ses différentes responsabilités, la Commission a acquis une fine compréhension des enjeux de droits auxquels ces derniers doivent faire face dans l’accès et la prestation des services éducatifs. Elle se sent donc particulièrement interpellée par le présent projet de loi, dont l’objectif annoncé est d’assurer une meilleure protection des droits de tous les élèves du Québec, qu’ils fréquentent le réseau public ou privé. Elle a insisté à plusieurs reprises récemment, notamment lors des consultations tenues par la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, sur l’urgence pour le gouvernement du Québec d’agir pour accroître le respect des droits de l’ensemble des enfants et leur garantir la pleine protection de leur sécurité et de leur développement.

Soulignons d’entrée de jeu que les commentaires de la Commission sont avant tout fondés sur le respect des droits protégés par la Charte, mais qu’ils s’inscrivent aussi dans une plus large perspective qui est celle de s’assurer de la complémentarité des missions des différents acteurs qui œuvrent spécifiquement au respect de leurs droits en milieu scolaire. Il s’agit de garantir tant l’efficience des moyens et ressources qui sont alloués en faveur des élèves que l’accessibilité des mécanismes permettant aux élèves de faire valoir leurs droits dont il est ici question. En ce sens, la Commission insiste sur l’importance, pour le gouvernement et les acteurs du milieu scolaire, de s’attaquer en amont aux causes qui amènent les élèves et leurs parents à porter plainte en cas d’insatisfaction quant aux services auxquels ils ont droit.

Les interventions de la Commission ont comme dénominateur commun celui de veiller au respect du droit à l’égalité des élèves dans l’accès à l’instruction publique gratuite ou aux services éducatifs qui y sont offerts, afin qu’aucun d’entre eux ne fasse l’objet de discrimination. La Commission traite des plaintes pour discrimination et harcèlement discriminatoire qui lui sont adressées. Les discriminations alléguées peuvent être fondées sur les différents motifs interdits inscrits à l’article 10 de la Charte, dont la « race », l’origine ethnique ou nationale, le handicap, le sexe et l’identité ou l’expression de genre.

La Commission agit de façon à favoriser un règlement à l’amiable entre les parties, souvent par la voie de la médiation. Si elle n’y parvient pas, elle peut, au terme d’une enquête, proposer des mesures de redressement, tels la cessation des actes reprochés, le paiement d’une indemnité pour les dommages matériels ou moraux subis ou le paiement de dommages-intérêts punitifs. Lorsque les mesures proposées ne sont pas mises en œuvre, elle peut saisir un tribunal, notamment le Tribunal des droits de la personne, qui est spécialisé en matière de discrimination et de harcèlement. Le Tribunal a le pouvoir d’ordonner toute mesure nécessaire à la cessation de l’atteinte illicite à un droit ou à une liberté protégés par la Charte, ainsi qu’à la réparation du préjudice moral et matériel qui en résulte.

Afin de donner un aperçu des plaintes en discrimination ou harcèlement discriminatoire que la Commission reçoit concernant le milieu scolaire, mentionnons qu’elle a, depuis l’année scolaire 2016-2017, ouvert 147 dossiers d’enquête portant sur l’accès aux services éducatifs dispensés par des établissements d’enseignement préscolaire, primaire ou secondaire. Ces dossiers concernent l’ensemble des régions administratives du Québec et 88 % d’entre eux mettent en cause des établissements d’enseignement du réseau public, alors que 12 % visent des établissements du réseau privé. Le motif handicap représente 70 % de tous les dossiers ouverts, tandis que les motifs « race », couleur et origine ethnique ou nationale correspondent à 19 % de ceux-ci.

Il importe de le souligner, la très vaste majorité des dossiers concernant le milieu scolaire ouverts à la Commission, soit 90 % d’entre eux, ont trait à l’adaptation des services éducatifs offerts aux élèves. Notons tout de même que 8 % des dossiers concernent des propos discriminatoires tenus à l’égard de l’élève ou de sa famille.

Précisons que les dossiers traités depuis l’année scolaire 2016-2017 sont réglés à différentes étapes du processus de traitement des plaintes. En tout, 82 dossiers ont été fermés pendant cette période, dont le quart à l’étape de l’évaluation et près de la moitié après enquête. Mentionnons également que 15 % des dossiers l’ont été à la suite d’une médiation entre les parties.

La Commission dispose d’autres moyens d’intervention pour assurer le respect des droits et libertés des élèves protégés par la Charte. La Commission peut notamment offrir des activités de formation et éducation aux droits, faire au gouvernement les recommandations appropriées relativement à différents enjeux de et droits de la personne ou diriger et encourager les recherches et publications en lien avec ceux-ci.

C’est à ce titre que la Commission a mené une vaste étude systémique sur l’organisation des services aux élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, rendue publique en 2018. À partir de témoignages recueillis auprès des protecteurs de l’élève, elle a dressé le constat que ceux-ci sont davantage sollicités pour des demandes d’information ou de conseils provenant de parents ou d’élèves que par le dépôt de plaintes formelles. Les protecteurs de l’élève refusent généralement de se saisir d’une plainte qui leur est soumise concernant la situation d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, s’ils n’entrevoient pas a priori de solutions ou de recommandations possibles. Elle a également relevé que certains protecteurs de l’élève estiment qu’ils n’ont pas le pouvoir de recommander des mesures à portée systémique, pourtant appropriées aux situations traitées.

Dans cette même étude, la Commission a mis en exergue le principal motif de demande de révision rapporté par les commissions scolaires, soit le classement de l’élève en classe ordinaire ou spécialisée ou encore, dans une école spécialisée. Les autres motifs invoqués sont essentiellement les mesures d’adaptation proposées aux plans d’intervention des élèves et le refus d’offrir certains services spécialisés réclamés par les parents.

Puis, elle a révélé que les données démontraient que la majorité des demandes de révision étaient maintenues par les conseils des commissaires. Ce constat a mené la Commission à recommander au ministre de l’Éducation de prendre les moyens nécessaires pour que le processus d’examen interne des plaintes prévu à la Loi sur l’instruction publique en regard des services éducatifs rendus aux élèves offre toutes les garanties pour assurer le respect du droit à l’égalité de l’élève dans l’exercice de son droit à l’instruction publique gratuite, enchâssé à l’article 40 de la Charte. Elle insistait particulièrement pour que le processus soit accessible et efficace pour l’ensemble des élèves et leurs parents.

L’institution d’un protecteur national des élèves qui aurait pour mandat de coordonner, de soutenir et de conseiller les protecteurs régionaux de l’élève, présents dans toutes les régions du Québec, répondrait à certains des besoins identifiés par la Commission. Il en est de même des précisions prévues au projet de loi concernant les fonctions et responsabilités des protecteurs régionaux de l’élève.

Cependant, la Commission s’interroge sérieusement sur le traitement qui serait accordé aux plaintes relatives aux services éducatifs rendus aux élèves qui portent sur un motif de discrimination. Ses questionnements concernent la prise en compte des droits de la Charte, les délais de traitement des plaintes ainsi que l’effectivité réelle du mécanisme de plainte.

La Commission ne saurait suffisamment insister sur l’importance pour les protecteurs régionaux de l’élève ainsi que le protecteur national de l’élève de détecter les actes et comportements discriminatoires dans les situations portées à leur connaissance. Par exemple, lorsque les élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) ou racisés n’ont pas accès aux services adaptés à leur condition, cela découle souvent de préjugés tenaces quant à leurs capacités à entreprendre et à réussir un parcours scolaire. Sans une véritable prise en compte de la discrimination à l’œuvre dans ces situations, les conclusions et recommandations qui seraient formulées par le protecteur régional de l’élève ou le protecteur national de l’élève aux établissements d’enseignement risqueraient de rater leur cible. Cet aspect semble complètement occulté par le projet de loi.

Dans de telles circonstances, la Commission se demande si l’article 30 du projet de loi s’appliquerait lorsqu’une situation visée par une plainte paraîtrait constituer de la discrimination. Cela obligerait le protecteur régional de l’élève à refuser d’examiner une plainte lorsqu’il jugerait qu’un autre recours serait susceptible de corriger adéquatement et dans un délai raisonnable la situation faisant l’objet de la plainte. S’il s’agit là de l’intention recherchée, la Commission recommande que le projet de loi soit amendé afin de prévoir spécifiquement que toute plainte reçue par le protecteur régional de l’élève qui relèverait de la compétence d’enquête de la Commission lui soit transmise, à moins que le plaignant ne s’y oppose. Un tel mécanisme existe déjà dans la Charte concernant les plaintes traitées par le Protecteur du citoyen. Cela éviterait toute confusion sur la compétence qui serait attribuée au protecteur régional de l’élève.

Dans un autre ordre d’idées, la Commission reconnait que définir des délais stricts à chacune des étapes du cheminement des plaintes contribuerait à régler avec célérité toute plainte soumise. Elle souhaite néanmoins porter à l’attention du législateur la complexité que revêt généralement le traitement de plaintes en milieu scolaire, entre autres lorsque celles-ci portent sur le classement d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage, qui rappelons-le, est le principal motif de révision des plaintes formulées actuellement en vertu du mécanisme interne de plaintes prévu à la Loi sur l’instruction publique. Les enquêtes qui doivent être menées à ce sujet impliquent souvent plusieurs acteurs du milieu scolaire et requièrent de faire appel à des experts externes. Cela entraine nécessairement des délais de traitement malgré la volonté d’agir promptement. Considérant que le projet de loi prévoit un processus de traitement des plaintes en plusieurs étapes, il apparaît justifié d’appréhender certains délais, et ce, particulièrement dans les régions administratives où il y a des ressources professionnelles limitées pour participer au processus de traitement des plaintes.

Ajoutons à cela que même si les délais étaient respectés, le projet de loi prévoit que le conseil d’administration du centre de services scolaire pourrait infirmer en tout ou en partie une décision visée par des conclusions ou des recommandations formulées par le protecteur régional de l’élève ou le protecteur national de l’élève et prendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu. La Commission ne comprend pas pourquoi une telle possibilité est prévue sachant que le gouvernement présente le projet de loi comme étant de nature à rehausser l’indépendance et la transparence de l’institution du protecteur de l’élève. Elle se demande sur quels éléments se fonderait le conseil d’administration du centre de services scolaire pour rejeter les conclusions d’enquête du protecteur régional de l’élève ou de celles du protecteur national de l’élève. Cela irait clairement à l’encontre de la position que la Commission défend depuis maintenant 10 ans, lorsque la Loi sur l’instruction publique a été modifiée pour lutter contre l’intimidation et la violence à l’école, quant à l’importance de renforcer l’impartialité du rôle du protecteur de l’élève. Elle estime essentiel que le projet de loi soit modifié pour retirer cette possibilité qui viendrait amoindrir significativement l’efficacité des dispositions visant à renforcer le rôle des protecteurs de l’élève.

En terminant, la Commission entend poursuivre l’accomplissement de ses responsabilités en milieu scolaire afin de s’assurer du respect des droits des élèves garantis par la Charte. Elle demeure ainsi disponible pour collaborer avec tous les acteurs qui œuvrent à cette fin.

Nous vous remercions de votre attention.

Lien connexe :
Communiqué : Projet de loi sur le protecteur national de l’élève : la Commission s’interroge sur le traitement des situations de discrimination