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Projet de loi 21 sur la laïcité de l'État : Trousse d'information pour les médias

Le projet de loi no 21, Loi sur la laïcité de l’État, a été présenté à l’Assemblée nationale le 28 mars dernier. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse en fait présentement l’analyse. Elle rendra publiques ses conclusions et recommandations lorsque celles-ci auront été adoptées par ses membres. D’ici là, elle souhaite fournir aux médias des éléments de contenu qu’ils pourront utiliser concernant les questions soulevées par le projet de loi, dans la perspective de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Les éléments regroupés ici proviennent des positions antérieures de la Commission sur le sujet. En effet, depuis plus de 30 ans, la Commission a publié plusieurs études et avis sur le droit à l’égalité et la discrimination basée sur la religion ainsi que l’accommodement raisonnable. En se fondant sur l’état actuel du droit québécois, canadien et international, et une analyse sociologique, la Commission a entre autres analysé et commenté les projets de loi 62, 60 et 94 présentés par les gouvernements antérieurs.

Dans le contexte du débat actuel, la Commission est préoccupée par les possibles débordements qui auraient des impacts discriminatoires sur des personnes déjà marginalisées, notamment les femmes musulmanes. Elle rappelle son mandat de traitement des plaintes de discrimination et de harcèlement discriminatoire et invite donc les personnes qui pensent en être victimes à s’adresser à elle.


La laïcité de l’État

Une laïcité effective au Québec

La laïcité met en œuvre deux moyens — la neutralité religieuse et la séparation de l’Église et de l’État — et deux fins – la protection de la liberté de conscience et de religion et le principe d’égalité. On retrouve au Québec les éléments d’une laïcité effective. La Charte garantit également la liberté de conscience et de religion ainsi que le droit à l’égalité.

Liberté de religion et espace public

La laïcité ne peut servir d’outil d’effacement de l’expression individuelle des appartenances religieuses dans l’espace public. La laïcité ne peut viser à limiter l’exercice de la liberté de religion à la sphère privée. Ceci serait contraire aux objectifs de la laïcité.

La neutralité religieuse de l’État

Définition

La neutralité religieuse de l’État veut dire que l’État ne doit pas s’ingérer dans le domaine de la religion et des croyances. L’État doit plutôt demeurer neutre à cet égard. Cette neutralité exige qu’il ne favorise ni ne défavorise aucune croyance, pas plus que l’incroyance.

Institutions vs. individus

La neutralité religieuse de l’État s’applique d’abord à ses institutions et non aux individus. Les employés de l’État ont une obligation d’impartialité, un devoir de réserve et doivent s’abstenir de faire du prosélytisme en enseignant ou propageant leurs croyances. Leur apparence, qu’ils portent ou non un signe religieux, ne remet pas en cause l’impartialité des actes et des décisions qu’ils doivent effectuer dans le cadre de leurs fonctions. Dans le même sens, l’obligation de neutralité religieuse de l’État ne s’applique pas aux usagers des institutions publiques. Comme le souligne la Cour suprême, un espace neutre ne signifie pas que tous les acteurs qui s’y trouvent doivent être homogènes. « La neutralité est celle des institutions et de l’État, non celle des individus » [Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), [2015] 2 R.C.S. 3, par. 74).

Une protection contre la contrainte de l’État

La neutralité religieuse vise à protéger les personnes, notamment contre la volonté d’une majorité ou d’un État d’imposer ce qui est bon ou vrai. Elle vise à garantir à chacun la liberté de conscience et de religion.

Le droit à l’égalité 

Définition

Le droit à l’égalité implique qu’on ne peut se fonder sur des caractéristiques personnelles pour exclure ou traiter différemment une personne, sinon c’est de la discrimination. La Charte reconnaît que tous les individus sont égaux en valeur et en dignité et ont droit d’exercer leurs droits et libertés, peu importe leurs caractéristiques personnelles [« race », couleur, origine ethnique ou nationale, religion, condition sociale, orientation sexuelle, etc.]. Le droit à l’égalité protège tous les individus contre la discrimination et le harcèlement discriminatoire fondés sur ces caractéristiques personnelles.

L’égalité juridique et l’égalité réelle

Le droit à l’égalité protégé par la Charte québécoise vise l’égalité réelle. Cela veut dire qu’en accordant le même traitement à tous et toutes, on n’atteint pas nécessairement une égalité réelle. Les caractéristiques et le contexte social de chaque personne doivent être pris en considération, puisque la société est marquée d’inégalités profondes. Pour assurer le droit à l’égalité réelle, on doit toujours tenir compte du contexte d’inégalité et de vulnérabilité qui marque certaines personnes plus que d’autres, notamment en fonction de leur condition sociale, leur sexe, leur religion ou leur origine ethnique. Le droit à l’égalité peut aussi passer par un traitement différent [par exemple accès à un ascenseur pour les personnes en situation de handicap] lorsqu’un tel traitement est fait dans le but d’atteindre l’égalité. C’est l’effet qui compte.

La liberté de religion

Définition

La liberté de religion, qui est protégée par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, comprend le droit de professer ouvertement ses croyances, de les manifester par le port de signes religieux et de pratiquer le culte religieux qui s’y rattache sans crainte d’empêchements ou de représailles.

De plus, la liberté de religion inclut le droit pour l’individu de ne pas être obligé d’agir de manière contraire à ses croyances. Et l’État ne peut imposer à une personne son interprétation d’une pratique religieuse, quelle qu’elle soit.

La liberté de religion ne prime pas sur les autres droits

La liberté de religion est un droit fondamental, mais il ne prime pas sur les autres droits garantis par la Charte québécoise. C’est-à-dire que ce droit peut être limité si les droits d’une autre personne ou l’intérêt collectif sont réellement affectés par l’exercice de ce droit. Comme pour les autres libertés et droits fondamentaux, la liberté de religion peut être encadrée lorsque des justifications sérieuses peuvent être démontrées.

Tout n’est pas permis au nom de la liberté de religion

L’exercice d’une liberté ne peut pas contrevenir aux libertés et droits d’autrui et doit prendre en compte le bon fonctionnement de la société et le bien-être général. Tout n’est pas permis au nom de la liberté de religion. Par exemple, la loi interdit d’imposer ses convictions à d’autres personnes ou de discriminer une autre personne en invoquant sa propre religion ou ses convictions religieuses.

Les signes religieux

De manière générale, une restriction au port de signes religieux peut porter atteinte au droit à l’égalité fondé sur le motif religion et à la liberté de religion, si elle n’est pas justifiée par l’article 9.1 de la Charte québécoise.

Prosélytisme et signes religieux

Le fait de lier le port de signes religieux à la définition du prosélytisme [tenter de convaincre l’autre d’adhérer à sa religion] sans tenir compte du comportement et de l’attitude de la personne fausse de manière importante l’approche développée en matière de protection de la liberté de religion et ouvre la porte à une restriction qui serait contraire à la Charte québécoise.

Effectuer ses tâches en portant un signe religieux

Le port de signes religieux ne compromet pas la neutralité religieuse de l’État. Ce sont les institutions de l’État, comme l’école, qui doivent être neutres et non les individus. Porter un signe religieux n’empêche pas non plus d’effectuer ses tâches de façon neutre et impartiale.

La clause dérogatoire : une exception

La Commission a souligné à plusieurs occasions qu’une dérogation à la Charte québécoise est un geste grave qui ne doit être entrepris qu’avec la plus grande circonspection. En effet, avant de déroger aux droits et libertés contenus à la Charte, il est important de bien évaluer l’objectif poursuivi par le législateur. Seules des circonstances exceptionnelles devraient justifier une disposition dérogatoire et celle-ci doit toujours se limiter à la stricte mesure exigée par une situation. Par conséquent, une dérogation à la Charte doit demeurer une exception, justifiée notamment par la nécessité de protéger un droit ou liberté reconnu, d’une part, et fermement encadrée d’autre part.

L’obligation d’accommodement raisonnable

Définition

L’accommodement raisonnable est une conséquence du droit à l’égalité garanti dans la Charte. Cette obligation juridique est un moyen utilisé pour faire cesser une situation de discrimination fondée sur l’un des motifs de discrimination interdits par la Charte, tel que le handicap, la religion ou le sexe. L’obligation d’accommodement s’applique dans toutes les situations de discrimination interdite, à moins qu’il y ait contrainte excessive.

L’accommodement raisonnable peut signifier qu’on aménage une pratique ou une règle générale de fonctionnement pour une personne qui se trouve dans une situation de discrimination et qui en fait la demande, et ce, afin de permettre l’exercice du droit à l’égalité.

Les balises de l’accommodement existent déjà

Des balises claires encadrent l’obligation d’accommodement raisonnable depuis près de 35 ans. Des critères ont ainsi été développés pour évaluer si un accommodement est raisonnable ou s’il y a une contrainte excessive qui empêcherait un employeur ou un fournisseur de services d’accorder cet accommodement. Avant d’accepter une demande d’accommodement raisonnable, on doit ainsi évaluer, au cas par cas :

  • son impact sur les droits des autres ;
  • les coûts de l’accommodement demandé ;
  • son impact sur le bon fonctionnement d’une organisation ou d’une entreprise ;
  • son impact sur le niveau de sécurité à préserver dans l’organisation ou l’entreprise.

Une demande d’accommodement qui compromet le droit à l’égalité y compris l’égalité homme-femme est considérée déraisonnable.

L’accommodement raisonnable au quotidien : quelques exemples

L’employée d’une grande chaîne de magasins qui pratique la religion catholique romaine demande, pour des motifs religieux, de ne pas travailler le dimanche. Son horaire peut être aménagé en conséquence puisque d’autres employés peuvent la remplacer. C’est un accommodement raisonnable.

Une femme enceinte doit s’absenter du travail pour un suivi médical. Son employeur lui permet de s’absenter. C’est un accommodement raisonnable.

Un élève peut porter son kirpan à l’école sous certaines conditions, notamment si celui-ci est placé dans un fourreau en bois, bien scellé dans une étoffe solide, qu’il est porté en tout temps à l’intérieur de ses vêtements. Le port du signe religieux dans ces conditions ne constitue pas un risque pour la sécurité, d’autant plus qu’il est question d’un élève qui n’a pas de problème de comportement et que le personnel de l’école peut vérifier le respect des conditions imposées.

Une personne en situation de handicap se déplace en fauteuil roulant et a besoin d’un poste de travail adapté à ses besoins. L’employeur lui fournit un environnement de travail qui répond à ses besoins. C’est un accommodement raisonnable.

Exemples de demandes considérées déraisonnables

Un chauffeur de camion de religion sikhe portant le turban ne peut être exempté de porter un casque protecteur lorsqu’il circule hors de son véhicule là où les normes de sécurité exigent le port d’un tel casque. Un tel accommodement est déraisonnable en regard du bien-être général et de la sécurité vu les risques importants de blessures qu’il représenterait.

Une personne se déplaçant en fauteuil roulant demande à l’université d’avoir plus de temps que les autres pour faire son examen. Étant donné qu’a priori, il n’y a aucun lien entre les limitations physiques de l’étudiante et ses capacités à répondre à des questions d’examen, cette demande serait considérée comme déraisonnable.

Un chauffeur de camion d’une compagnie de vins et spiritueux demande de ne pas être tenu de livrer des boissons alcooliques en raison de sa religion. Étant donné que la tâche principale de ce poste est la livraison, cette demande serait considérée comme déraisonnable.

Une personne atteinte d’une maladie chronique a été absente du travail et n’est pas en mesure de reprendre le travail dans un délai prévisible. Elle demande à son employeur de ne pas combler son poste pour une durée indéterminée. Cette demande serait considérée comme déraisonnable.

Le conflit de droits

Aucun droit ne prévaut sur un autre droit dans la Charte, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de hiérarchie entre les droits. Les droits et libertés de la personne humaine sont en effet inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général. Ainsi, le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes a la même valeur juridique que le droit à la liberté de religion et de conscience.

Cela dit, il peut arriver que l’exercice d’un droit par une personne entre réellement en conflit avec les droits d’une autre personne. C’est ce qu’on appelle un conflit de droits. Dans une telle situation, les tribunaux ont prévu un exercice d’équilibre et de conciliation pour assurer le respect des droits de chaque personne. Il faut alors prendre en compte les circonstances concrètes de chaque cas. Lorsque possible, il faut mettre en œuvre des mesures raisonnables permettant d’assurer l’équilibre entre les droits en cause. En l’absence de toute autre solution raisonnable, on doit juger si les effets bénéfiques de l’exercice d’un droit sont plus importants que ses effets préjudiciables sur l’exercice des autres droits.